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mardi, 10 juin 2014

Les CM2 de Florence Machin

La semaine dernière, c’était la fête de fin d’année à l’école primaire, non loin de chez moi. Je passe devant ses bâtiments chaque jour, quand je vais chercher mon autobus au bout du pont. Ce matin là, une affichette attira mon attention. On y annonçait le spectacle des CM2. Sous un dessin sommaire et sous le nom de la pièce, on avait écrit cela :

par les CM2 DE FLORENCE MACHIN (1)

Formulation d’autant plus significative qu’elle demeure vraiment  passe-partout, car ce sont ces détails insignifiants qui en disent le plus long sur le dépérissement généralisé qui rend notre monde foutraque. D’ailleurs, je n’y aurais sans doute pas prêté la moindre attention si, ayant moi-même organisé des spectacles scolaires dans le temps, il ne me serait jamais venu à l'idée d'accoler aussi grossièrement mon nom, comme ça, à celui de la classe. Au lieu de ça, mézigue, j’aurais écrit « les CM2 DE JACQUES BREL (2) »

 Car enfin, la classe appartient encore à l’école, non ? Et l'école à la commune, non ? Et les mômes, en toute bonne logique, à leurs parents et pas à l’institutrice, non ? Quant à l'institutrice, elle n'est pas chez elle dans l'école, c'est son lieu de travail plutôt, n'est-ce pas ? Je pinaille, me direz-vous. Pinailler fait partie de mon métier, et le bon usage, de ma coutume.

Alors comment comprendre que Florence MACHIN s’approprie ainsi tous ces mômes, et une classe toute entière, qui appartient pourtant à l’école ? Aussi naïvement ? aussi vulgairement ?  Plusieurs possibilités, me dis-je en poursuivant ma route, tandis que gazouillent les oiseaux matinaux dans les branches.

C’est peut-être  un syndrome de cette extension de la sentimentalité maternelle, névrose qu'on voit à l'oeuvre partout, qui ravage de fond en comble une grande partie du corps social (et pas seulement les écoles, que c’en devient partout une épidémie, qui touche même parfois la gente masculine –  d’ailleurs on aurait pu avoir tout autant  les CM1 de Pascal TRUC).  Est-ce plutôt un syndrome de ce mauvais quart d’heure de gloire promis par Warhol, qui fait que, Florence MACHIN, son nom sur l’affiche, ça la rend toute fébrile, la grande gosse, un peu comme ces quidams filmés à l’occasion d’une grève ou d’un embouteillage, et qui enregistrent le soir leur petite phrase quand ils passent au vingt heures pour emmerder avec tout le quartier ? Le mal doit tenir des deux, puisque cette gloire plus qu’éphémère est un peu devenue notre maman désincarnée à tous, nous autres, pauvres guignols infantilisés de la société du spectacle, comme on a pu le voir dans la lucarne en voyant tous ces mômes traînés par leurs propres parents pour partager des selfies avec les Bleus en partance pour le Brésil.... Mais ce n’est pas tout.

Car ce glissement qui prend toute l’apparence de l’anodin, de l’inoffensif, peut aussi être le symptôme de la disparition du service public en temps que corps d’Etat.  Je n'exagère rien. L’Etat n’étant plus, en son sommet, qu’un ramassis de pauvres gars qui passent leur temps à arracher mutuellement de l'affiche le nom de leurs adversaires, il est après tout normal qu’en sa base, il ne soit aussi, avec ses fonctionnaires lobotomisés, qu’une espèce de pantalonnade carnavalesque où chacun ne cherche plus qu’à tirer à soi la couverture. L’effusion sentimentalo-grotesque, la vanité des sans-grades, la privatisation de l’espace public, il doit y avoir un peu de tout ça chez cette Florence Machin ou chez ce Pascal Truc. Et le plus effarant, c’est que dans ces écoles où ils sont instits, ces éternels adolescents ne font pas que du show-business à la petite semaine. Ils enseignent, aussi. Enfin…  Et même,  ils votent.

 

doisneau.jpg

 Doisneau, La Libellule, 1956

(1) Les noms et prénoms sont fictifs, comme on dit dans la presse à tirages ronflants

(2) Jacques Brel aussi est un nom fictif, enfin, ce n’est pas le nom de l’école en question– même si beaucoup d’écoles portent le nom du Grand Jacques, vous avez remarqué forcément, comme Brassens ou Neruda, les pauvres, sais pas trop ce qu’il en penserait s’il pouvait parler aujourd’hui, de ça, le Grand Jacques.

00:30 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : doisneau, école, infantilisation, france, société, spectacles, fin d'année | | |

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