dimanche, 26 janvier 2014
L'illusion républicaine
Je vois, j’entends autour de moi des gens qui regrettent qu’on ne s’occupe plus des grands débats, des grandes idéologies politiques, pour ne s’intéresser qu’à des futilités, Dieudonné, Trierweiler et demain quoi d’autre ? Mais hormis à de rares occasions, ce monde où le politique avait un tel statut dans l'opinion a-t-il franchement existé ? La dernière fois que j’ai senti les Français saisis d’un débat d’importance, c’est lors du référendum sur la Constitution.. Cela a duré quelques semaines, et on sait comment les partis dominants et leurs représentants ont traité ce vote ; il ne faut donc pas que ces gredins s’étonnent d’être traités désormais pour ce qu’ils sont par l'opinion : de simples pantins interchangeables et sans épaisseur, au service de leurs seuls intérêts, et donc en rien représentatifs.
Nous sommes entrés dans ce monde américain, celui dans lequel chaque président se doit donc d’occuper le terrain avec sa propre histoire et de masquer ou de tenir dans l’ombre ainsi les grands problèmes. Ce n’est plus le monde spectaculaire à l’ancienne, où le protocole définissait les emplois, et qui convenait si bien aux anciennes monarchies : spectacle immuable, réglé comme du papier à musique. C’est le monde du self-spectaculaire mis en scène par de plus ou moins bons communicants. Bien entendu il faut que le figurant de passage soit à la hauteur, ce qui n'est hélas pas toujours le cas.
Aux Usa, on a toujours aimé cette histoire : un petit gars débarqué de rien et bombardé soudain l’homme le plus puissant du monde, qui fait son show sur la scène médiatique. A lui, l’espace de quelques années, le spectacle et le plaisir d’incarner the Big Dream. A lui, mais il faut qu’au fond des chaumières, chacun puisse se dire qu’aussi bien, ce gars pourrait être soi. C'est ça la clé du rapport démocratique de l'électeur à son élu.
« L’Amérique avait perdu un grand chef, et je me trouvais chargé d’une responsabilité terrible », écrit Harry Truman dans le premier chapitre de ses Mémoires, quand il comprend qu’il va devoir quitter le confortable poste de vice-président pour monter à son tour sur la scène, parce que Roosevelt vient de rendre « son âme éternelle ».
« - Harry, me souffle Mrs Roosevelt au téléphone, le Président est mort !
Les dernières nouvelles reçues de Warm Springs indiquaient que Mr Roosevelt se remettait de façon satisfaisante ; il paraissait même en si bon état qu’aucun membre de sa famille proche, pas même son médecin personnel, n’était auprès de lui. Toutes ces pensées me traversèrent l’esprit en un éclair avant que j’eusse retrouvé la voix.
- Y’a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ?», demandai-je enfin
Je n’oublierai jamais sa réponse, empreinte d’une si parfaite compréhension
« Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour vous ? C’est vous qui êtes en peine, à présent »
Et c’est alors que cet ancien agent d’assurance découvre, alors qu’en tant que vice président il n’en était pas même informé, le programme nucléaire qui allait déboucher sur Hiroshima.
Harry Truman
Depuis Giscard, la France s'est ainsi peu à peu américanisée jusqu'à la rocambolesque affaire de cette malheureuse première dame envoyée se refaire une santé médiatique au pays des éléphants non socialistes. Dire à quel point la pièce vire au vinaigre ! Mais le citoyen est en droit de se poser des questions sur la dimension symbolique perdue en route. Car nous voici plus très loin de Bill et Monica. Et, puisque on cache aux citoyens les grands dossiers d’Etat, puisque on les écarte des décisions qui compteront sur leur vie, puisqu'on obéit à une logique d'Empire, ils sont en droit d'exiger qu’au moins le spectacle soit à la hauteur de l’autorité du pays ! Et s'il ne l’est pas, que le mauvais acteur quitte la scène, puisque il est indigne du spectacle qu’il joue et puisque le pays divorce d’avec lui,,comme le montrent les instituts de sondage. On nous parle dès lors (tous les ministres qui jouent leur carrières) de respect à porter à la République; Qu'en est-il de ces sornettes ?
J’étais mardi soir dans l’église de mon quartier. Vers dix-neuf heures, le grand orgue retentit, et la porte s’entrouvrit. Accueilli par le curé de la paroisse, un homme seul traversa l’allée centrale d’un pas ferme, s’inclina devant l’autel et s’installa au premier rang ; juste avant la messe, le curé se tourna vers lui et dit : «Vous êtes ici, Monseigneur, dans un quartier populaire ». Et pour cause ! La Croix-Rousse, fief des canuts ! C’était l’office du 21 janvier, à la mémoire de Louis XVI, et cet homme était le duc de Vendôme, Jean d’Orléans, héritier (à moitié) légitime du trône de France par Louis-Philippe.
A un moment, le prêtre invita l’assistance à prier pour Marie-Antoinette, son fils et toute la famille royale. Je pensais à mes anciens morts à moi, charpentier à Miribel, boulanger à Bessenay, cultivateur à Thil ou cloutier à Larajasse, tous républicains sans aucun doute. Je pensais également à ce fil tenu qui durant les siècles précédents a uni les Français à leur roi, et qui leur est incompréhensible aujourd'hui, sinon à travers les châteaux qu'ils conservent et visitent dans une religiosité patrimoniale suspecte. Je réprimais un sourire à la pensée de tous ces discours médiatiques et ridicules sur « les deux corps du président » (Pauvre Hollande !) ou ceux sur le monarque républicain. Je regardais le duc de Vendôme, tantôt debout, tantôt agenouillé. Et j’avoue que je me suis demandé si cet homme ne vaudrait pas mieux, au point de vulgarité où les deux derniers présidents ont précipité le pays, si cet homme capable non pas de faire le job, mais de tenir son rang, ne vaudrait pas mieux que ces politiciens formés à s'entre-tuer et incapables de représenter quoi que ce soit de l'autorité de ce pays dont ils vont parfois jusqu'à contester l'histoire. Si la France, comme l’Angleterre ou les Pays Bas, était une monarchie constitutionnelle, cela changerait quoi ? Le pouvoir serait pareillement à Bruxelles, au FMI, à l’OCDE et accessoirement à Paris ; une sorte de Ayrault terne réglerait les questions d’intendance. Les combats politiques se régleraient pareillement au Parlement, dans les loges, dans la presse et dans la Rue. Mais la mémoire symbolique du pays, c'est à dire son autorité, serait incarnée par quelqu’un formé pour, quelqu'un de cultivé et d'instruit (au sens propre) plutôt que par des imbéciles ou des goujats. Vous me direz que la République ne serait plus, certes. Mais la démocratie s'en porterait peut-être mieux, voyez l'Angleterre : une franche distinction entre le pouvoir et l'autorité fait que le symbolique, au moins, s'y retrouve.
Quand la République et ses ors ne sont plus, comme c’est le cas aujourd’hui, qu’une vaine illusion agitée comme un chiffon par des imposteurs dans le grand cirque de la mondialisation pour mener la politique qu'ils ont choisi sans les peuples, y-a-t-il tant que ça à perdre en contestant son existence ? Pour ma part, depuis le début du sketch du pingouin en cours, je me sens davantage français que républicain, et plus vraiment en phase avec la légitimité électorale de présidents acquise au prix d'une constante propagande, qui me donne plus envie de leur adresser des bras d'honneur et de m'asseoir dessus qu'autre chose. Alors, l'illusion monarchique, cet autre spectacle pour garantir l'équilibre d'un pays en pleine crise, pourquoi pas ?
Par la grande rue de la Croix-Rousse, je regagnais, mardi, mon domicile. Encore faudrait-il que les héritiers du trône s'accordent, Entre une branche régicide et une autre devenue étrangère, la partie n'est pas gagnée me disais-je, brumeux, flottant, entre le rêve romantique de Chateaubriand et le rire caustique d'un spectateur blasé d'une mauvaise pièce de Courteline.
18:18 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : truman, république, représentation, monarchie, duc de vendôme, louis d'anjou, jean d'orleans, chateaubriand, politique, france, culture |
Commentaires
Ça alors : prévenez-moi l'année prochaine !
J'ai eu une pensée pour Louis XVI, le 21 janvier. On trouve son testament sur Google.
Écrit par : Jérémie | lundi, 27 janvier 2014
l'Abbé Billioud célèbre tous les ans une messe à la mémoire de Louis XVI en Saint-Denis, Croix-rousse. Il se trouve que cette année, le duc de Vendôme a tenu à y assister.
Le testament a été lu en fin d'office. Le passage qui commence par "Je recommande à mon fils, s'il avait le malheur de devenir roi, ..." est particulièrement glaçant quand on se remémore un peu la situation de Louis XVI à Noël 92, moment de la rédaction du testament.
Écrit par : solko | lundi, 27 janvier 2014
C'est noté ! J'aurais aimé croiser le duc de Vendôme. Merci : vous m'avez appris quelque chose.
Écrit par : Jérémie | lundi, 27 janvier 2014
Vouloir remplacer une illusion par une autre, vraiment? Qu'y gagnerions-nous de plus, nous le peuple, méprisé, exploité, écrasé, muselé?
Je suis lassée de la bouffonnerie du pouvoir, de ce spectacle minable auquel ces salauds nous forcent à assister.
Remplacer la Marianne par la fleur de lys ne mettra pas fin à la lutte des classes... Les monarques remplaceront les énarques et, tout comme eux, se vautreront comme des pourceaux dans la magouille et les "courtisanes".
Écrit par : Sarah S. | mardi, 28 janvier 2014
Ni toi ni moi ni aucun parti n'a le pouvoir de rétablir la monarchie en France. Si cela arrivait, ce serait sous l'effet d'une nécessité historique qui échapperait à la rationalisation des faits et aux enjeux politiciens. C'est pourquoi il ne s'agit pas des intérêts ou des bénéfices politiques de tel ou tel régime dans ce billet, mais plutôt d'un ressenti perso : Dans tout ce qu'il fait et dit, le président actuel oublie tellement la dimension symbolique du pouvoir et la nécessite d'en incarner une représentation qu'il est en train de laisser vraiment un siège vacant. Me demande s'il s'en rend même compte. Cela relève presque de l'incompétence culturelle et je suis étonné qu'on en parle si peu, comme si tout se réduisait à la feuille de route économique et sociétale. C'est d'un affligeant. En tout cas, concernant la représentation symbolique de l'autorité du pays, entre le pingouin et le duc de Vendôme, franchement, y'a pas photo !
Écrit par : solko | mardi, 28 janvier 2014
Le pouvoir change les gens en porcs. Qu'ils aient le sang bleu ou non.
Mais il est triste de constater que Louis XVI n'était certes pas le "roi-cochon" que les Révolutionnaires fanatisés on voulu dépeindre! Il fait même figure d'exception. S'il n'a certes pas été un monarque avisé, tout porte à croire qu'il était un homme simple, et bienveillant, à l'opposé de ses prédécesseurs...
Écrit par : Sarah S. | mardi, 28 janvier 2014
Louis XVI valait effectivement bien mieux que ce que l'historiographie républicaine de Soboul et compagnie ont voulu nous faire croire. Il faut relire Gaxotte, Bainville et Maurras.
Écrit par : Jérémie | mercredi, 29 janvier 2014
Très beau texte en tout cas. Il est vrai que la monarchie parlementaire anglaise est bien plus démocratique que notre République mi-présidentielle, mi parlementaire.
Très vrai :
"Je regardais le duc de Vendôme, tantôt debout, tantôt agenouillé. Et j’avoue que je me suis demandé si cet homme ne vaudrait pas mieux, au point de vulgarité où les deux derniers présidents ont précipité le pays, si cet homme capable non pas de faire le job, mais de tenir son rang, ne vaudrait pas mieux que ces politiciens formés à s'entre-tuer et incapables de représenter quoi que ce soit de l'autorité de ce pays dont ils vont parfois jusqu'à contester l'histoire. Si la France, comme l’Angleterre ou les Pays Bas, était une monarchie constitutionnelle, cela changerait quoi ? Le pouvoir serait pareillement à Bruxelles, au FMI, à l’OCDE et accessoirement à Paris ; une sorte de Ayrault terne réglerait les questions d’intendance. Les combats politiques se régleraient pareillement au Parlement, dans les loges, dans la presse et dans la Rue. Mais la mémoire symbolique du pays, c'est à dire son autorité, serait incarnée par quelqu’un formé pour, quelqu'un decultivé et d'instruit (au sens propre) plutôt que par des imbéciles ou des goujats. Vous me direz que la République ne serait plus, certes. Mais la démocratie s'en porterait peut-être mieux, voyez l'Angleterre : une franche distinction entre le pouvoir et l'autorité fait que le symbolique, au moins, s'y retrouve."
Écrit par : Jérémie | mercredi, 29 janvier 2014
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