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mercredi, 10 juillet 2013

Lambert en fumée

Tout le monde connait sa silhouette, à la pointe de l’ile Saint-Louis, quai d’Anjou. Il est classé monument historique depuis 1862. En 2007, le neveu de l’émir du Qatar Hamad Ben Khalifa-Al-Thani (celui qui vient d’abdiquer), Hamad Abdallah al-Thani,l'a rachèté pour la somme de 80 millions d’euros au baron de Guy de Rothschild, lequel mourut quelques jours avant la signature. L’auteur de la discutable formule, « juif sous Pétain, paria sous Mitterrand » y avait organisé des fêtes somptueuses avec son épouse Marie Hélène van Zuylen de Nievelt de Haar.

Il le tenait du milliardaire chilien Arturo Lopez Willshaw surnommé le roi du guano, qui y vivait avec son mignon, le richissime financier et collectionneur d’art Alexis de Rédé, un pote de Pierre Bergé, dont le peintre Pierre Le Tan écrivit ; « Il existe à Paris une poignée d’hommes qui, depuis des décennies, semblent ne pas avoir vieilli, ou presque. Ainsi l’élégant baron de Rédé, souvent drapé dans une cape et chaussé d’escarpins d’une extrême finesse. Ses cheveux d’acajou sont tantôt plaqués, tantôt légèrement bouffants. De loin, sa silhouette est celle d’un homme de quarante ans ».

En décembre 1969, ce dernier donna à l’hôtel Lambert un Bal Oriental qui lui couta un million de dollars et qui est encore considéré comme l’une des plus célèbre fêtes de l’après-guerre. Le maître de cérémonie, déguisé en prince mongol, y accueillait le Tout Paris de l’époque. Des esclaves noirs au torse nu portaient des torches dans le grand escalier menant à la salle de bal, tandis que des automates jouaient différents instruments dans la galerie d’Hercule, considérée à sa création comme une première ébauche de la galerie des glaces de Versailles

Pour assurer la transition entre fêtes parisiennes et fêtes arabes, le nouveau propriétaire a voulu transformer l’hôtel Lambert en « maison de famille », avec ascenseur pour voitures et salles de bains dans chacune des vingt chambres. Le chantier a alors été confié à Bouygues Rénovation privée, une filiale de Bouygues construction.

A titre d’exemples, la construction d'une salle de bains nécessite la destruction de l’ancien cabinet de Jean Baptiste Lambert (premier propriétaire et trafiquant notoire de biens immobiliers) et celle de l’ascenseur de défoncer un plafond peint à poutres et solives au dessus d’un bel escalier en bois sculpté au XIXème.

En décembre 2007, l’association Paris historique estima qu’avec un tel projet, il y avait « perte d’authenticité et de substance du  bâtiment ». Elle porta plainte pour « dénaturation de chef d’œuvre ». Elle obtint de Bertrand Delanoë qu’un projet de parking sous jardin (le premier jardin surelevé de Paris au XVIIeme), avec une porte pivotante percée dans le mur d’enceinte du XVIIe fût bloquée. Le ministère de la Culture s’en mêla et l’affaire devenant publique, chacun joua son image sous l'oeil de la planète entière ; Delanoë et la mairie de Paris doit se montrer capable d’attirer de grands investisseurs dans la capitale, Albanel et le ministère de la Culture de défendre le patrimoine français, les associations de ne pas avoir l’air intolérantes et les propriétaires qataris de demeurer des propriétaires respectueux des édifices qu’ils achètent.

Mais voilà que la Pologne s’en mêle à son tour : Avant le roi du guano et son éphèbe proustien, l’hôtel Lambert, avait appartenu au prince Adam Czartoyski qui avait accueilli sous ses plafonds  les nombreux exilés polonais en fuite devant la répression russe après la Grande émigration de 1831. A cette époque, l’hôtel avait connu de grandes fêtes romantiques et s’y croisaient Chopin, George Sand, Liszt, Balzac et Delacroix. L’hôtel lui-même, par les soins du prince, devint alors un centre intellectuel majeur de la résistance polonaise en Europe.  L’ambassadeur polonais, Tomasz Orlowski s’émeut donc de la destruction programmée de l’escalier du XIXe, principal témoin de cet épisode.

Depuis cette nuit, le feu, ce grand purificateur dont Léon Bloy écrivit à la fin de La femme pauvre qu'il est le symbole de la justice éternelle, met tout le monde d’accord. Cent quarante pompiers sont mobilisés pour éviter que ce haut lieu de luxe et de débauche ne parte définitivement en fumée. Hyperbolique et peut-être même un peu à côté de ses pompes, le maire de Paris vient de proclamer qu'un tel incendie faisait partie des épreuves que connait Paris...

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Commentaires

A côté de ses pompes à incendie, bien sur!Ce bâtiment historique pourra être déclassé , en monument d'hypocrisie ! Ce Lambert lézardait,triste fin, on a eu sa peau et sera mis à sac.

Écrit par : patrick verroust | mercredi, 10 juillet 2013

Tant que Berthillon n'est pas mis à sac, l’île saint Louis restera l'ile Saint Louis.

Écrit par : solko | mercredi, 10 juillet 2013

Anjou! Feu ! et le Quatar rit....

Écrit par : patrick verroust | mercredi, 10 juillet 2013

Du coup, l'Etat va participer pour une somme sans doute importante à la réfection de cette résidence privée, au nom d'un patrimoine dont le public est de plus en plus écarté. Est-ce bien normal ?
( non pas que le public soit écarté, puisque c'est une maison privée, mais que l’État paye. Même scandale avec le château de Chirac ou les appartements de Lang ou DSK place des Vosges)

Écrit par : solko | jeudi, 11 juillet 2013

J'apprends ici des choses, ce pourquoi je vous remercie bien, sur les Polonais. Je précise( ne m'en veuillez pas si je suis tatillon sur un sujet qui me touche d'assez près) que cette vague d'émigration de 1831 était consécutive à l'insurrection de novembre 1830 à octobre 1831, noyée dans le sang par le bon tsar de toutes les Russies.
Et je vois qu'il y avait parmi les insurgés des émigrés "mondains " (!)
Mais why not ? Merci, en tout cas.

Écrit par : Bertrand | jeudi, 11 juillet 2013

"ce dont ou ce pour quoi je vous remercie bien", plutôt.

Écrit par : Bertrand | jeudi, 11 juillet 2013

Bien sûr qu'il y avait des émigrés "mondains" chez les insurgés. Comme plus tard chez les Russes. Comme les nobles français en 89.Y'a des mondains partout.
L'histoire de cet hôtel est très intéressante.
Très significatif, aussi, le fait que les journaux ne parlent que des plafonds de Le Brun qui sont "une grande perte", et pas tellement finalement des élites plus ou moins biscornues (à commencer par Lambert lui-même) qui l'ont habité.

Écrit par : solko | jeudi, 11 juillet 2013

Notre admiration baveuse devant les palais de nos princes est assez biscornue,elle aussi. Elle dit notre acceptation jalouse de notre servitude. Il n'en demeure pas moins qu'il y a de fort beaux monuments mais ils sont les signes de la puissance des uns et de l'asservissement des autres.Je me méfie de l'esprit badaud...J'aime beaucoup l'openluchtmuseum, reconstitution de l'habitat fermier aux Pays- Bas...Bien sur, l'analyse est incomplète, il faut prendre que c'est ainsi que l'humanité vit, s'exprime et puis s'éteint.

Écrit par : patrick verroust | jeudi, 11 juillet 2013

Bon, moi, cette histoire m'a dégoûtée au point que je suspecte même le nouveau proprio d'avoir allumé l'incendie pour passer outre aux consignes trop strictes pour lui des Monuments Historiques. Résultat, le cabinet où avait écrit Voltaire est parti en fumée. Aux moins, les précédents proprios n'avaient pas abimé le lieu. Sinon, je me demande vraiment pourquoi on va s'acheter un bâtiment ancien et classé si on veut y faire du moderne tape-à-l'oeil avec tables en marbre, garage à Rolls et robinets en or. C'est très con, quand même.
(Ce sont les assurances du prince qui vont payer, pas nous, ai-je lu dans Slate.)

Écrit par : Sophie K. | vendredi, 12 juillet 2013

"je me demande vraiment pourquoi on va s'acheter un bâtiment ancien et classé si on veut y faire du moderne tape-à-l’œil avec tables en marbre, garage à Rolls et robinets en or."

Mais c'est l'esthétique du métissage, Sophie, voyons ! Version post moderne du mélange des genres romantique ! Ah ah ! Tous les anciens couvents ou hôpitaux européens y passent et deviennent des hôtels ou des résidences de luxe en Europe, avec jacuzzis et autres gadgets
Quant au bureau de Voltaire, c'est bien triste, oui... J'avoue que je m'en fiche un peu. Tant qu'on ne touche pas aux Charmettes et à la rue Raynouard....

Écrit par : solko | vendredi, 12 juillet 2013

Ce sont surtout les peintures murales disparues, plus que le fait que Voltaire y ait écrit, qui me navrent. (Si c'est pour mettre un écran plat à la place pour regarder du foot...)
Philippe Nauher a aussi tout dit sur le fait d'acheter un truc juste pour son prix dans son post sur Don DeLillo...

Bon, bref. Le propriétaire, ce neveu du prince qui s'appelle Abdallah, ressemblerait assez à l'Abdallah de Tintin, finalement. On se souvient des dégâts que celui-ci faisait déjà, quand il était petit, à Moulinsart. Si ça se trouve, c'est le même.

Écrit par : Sophie K. | samedi, 13 juillet 2013

Va savoir ! Il y a peut être une maquette de bateau dans les sous sols avec à la clé un trésor à retrouver aussi...

Écrit par : solko | samedi, 13 juillet 2013

Pas grand-chose à ajouter, vous avez tous, fait le tour de la question.

Je gage que les assurances seront plus promptes pour ce genre de choses que pour rembourser les pauvres gens qui perdent outils de travail et maisons dans des catastrophes naturelles...

C'est à vomir.

Écrit par : Michèle | vendredi, 12 juillet 2013

Alors pour moi Roland une marron glacé-lait d'amande, et après nous le déluge !

Écrit par : Sophie | vendredi, 12 juillet 2013

@Patrick : "Notre admiration baveuse devant les palais de nos princes est assez biscornue," je crois que l'on admire aussi le travail des artisans qui ont produit ce patrimoine. Il n'y a pas que le rêve benêt des contes de la bourgeoisie ou de l'aristocratie racontés au brave peuple…

Écrit par : FOurs | dimanche, 21 juillet 2013

La polémique est un peu vaine. Nous n'avons tort ni l'un ni l'autre...Vous pourriez écrire un beau billet sur les comportements des foules dont dont nous faisons parties.Nous béons d'admiration devant des symboles de richesses et de puissances, illustrés magnifiquement par des artisans artistes. Les arts et traditions populaires, l'ethnographie nous montrent que l'art fut vivant, chez les humbles, aussi...La sculpture des bâtons de berger, les pipes, les os taillés pour en faire des flutes, la décoration de la moindre barcasse.....Nos propos se croisent plus qu'ils contredisent, sauf que les travaux somptuaires comme les guerres vaniteuses saignèrent à blanc les peuples qui connaissaient trop disettes et massacres...

Écrit par : patrick verroust | dimanche, 21 juillet 2013

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