mercredi, 16 février 2011
Eiffage ne convainc pas
Hier, mardi 15 février, le maire de Lyon présentait à nouveau aux Lyonnais le projet retenu pour le réaménagement de l’Hôtel-Dieu, en présence de Michel Chenevat le directeur régional pour la région Centre Est du « secteur Bâtiment et immobilier » du groupe Eiffage, de Didier Repellin, architecte en chef des monuments historiques, de Daniel Moinard, directeur général des Hospices civils de Lyon, de Nadine Gelas, vice-présidente du Grand-Lyon. La salle Justin Godart était à nouveau pleine, témoignage de l’intérêt que ce dossier exceptionnel a auprès le public. Une belle opération de communication, qui pourtant ne convainc pas. Le maire a commencé par exposer ses arguments politiques. Puis Michel Chenevat a brièvement détaillé à grands traits le projet de son groupe. Enfin Didier Repellin et Albert Constantin ont évoqué la nature de la restauration envisagée.
Intérieur du grand dôme -Photo : Cheumou Phildroso
Pour résumer la situation, le chantier serait à resituer dans la gestion globale des HCL, lesquels « ont beaucoup investi pour le développement d’hôpitaux modernes en périphérie de Lyon : un milliard d’euros d’investissement, vers le meilleur de la médecine » Le maire fait de la rénovation de l’hôpital Edouard Herriot une « vraie priorité ». Le financement de ces opérations passe nécessairement, explique-t-il, par des désaffectations : avant-hier l’Antiquaille, hier Debrousse, aujourd’hui l’Hôtel-Dieu. On comprend que pour la direction des HCL, ce qui compte est l’exploitation globale du parc hospitalier au sein duquel l’Hôtel-Dieu est un vieillard certes prestigieux, mais désormais inutile et couteux (sa rénovation est estimée à 150 millions d’euros), dont il faut autrement dit se débarrasser.
La ville de Lyon seule pourrait-elle reprendre à son compte un tel projet avec un plan de mandat budgétisé à 600 millions d’euros ? Le maire écarte d’un revers de manche une telle idée : « J’aime mieux réhabiliter La Duchère et Mermoz, et laisser Eiffage faire l’Hôtel-Dieu », dira-t-il. Derrière cet apparent intérêt pour le social se cache une étrange conception de la répartition territoriale de la ville. Le centre pour les riches, les ultra-riches, et les périphéries pour les modestes et les sans-le-sou. Est-ce le prix à payer pour devenir une « ville internationale » ? Pour Collomb, ça ne se discute même pas. Et plutôt que de prendre le temps d’établir un dossier à multiples partenaires, joignant musées, bibliothèques, théâtres, cinémas, commerces, restaurants, universités…, il préfère solliciter un groupe unique qui accorde sa priorité à l’industrie de l’hôtellerie de luxe.
C’est alors qu’intervient le groupe Intercontinental, partenaire d’Eiffage (qui s’installera aussi à Marseille grâce à la complicité de Jean Claude Gaudin). On prend grand soin alors de nous dire que cette industrie n’occupera que 30 % des lieux : le hall de l’hôtel sous le grand dôme qui demeurera ouvert au public, et la façade de Soufflot sur le bord du Rhône, qui abritera les duplex et les deux grandes suites : « Ce site dont on rêve tous », déclare ingénument Michel Chenevat, pour évoquer l’ensemble « dôme façade » ces fameux 30% qui seront dédiés à l’hôtellerie de luxe. En contrepartie, le groupe affirme rendre l’hôtel Dieu (le reste des bâtiments) aux Lyonnais, avec la réouverture de galeries, l’aménagement de cours intérieures, l’établissement d’un musée de la santé. Mais comment ne pas voir que ce qui est présenté comme « un parti-pris » n’est qu’un prétexte ? Dès 2014 certains commerces s’ouvriront et le tout devrait être livré en 2016.
C’est enfin au tour des architectes de prouver que la rénovation sera de qualité, et respectueuse du caractère historique du bâtiment. Didier Repellin et son adjoint expliquent que l’originalité du classement UNESCO de la ville au patrimoine de l’humanité s’est déroulée au motif non pas d’un patrimoine statique, mais dynamique… Dont acte ! Avec verve et lyrisme, ils nous font un cours sur l'histoire de l'Hôtel-Dieu. Pour finir, un bref film d’animation nous promène à travers la future rénovation et se clôt par ce slogan : « Lorsque l’Hôtel-Dieu s’anime, c’est tout Lyon qui rayonne »
Débute alors un débat avec la salle; un dialogue – évidemment de sourds, puisque toutes les décisions sont déjà prises.
Un étudiant fait remarquer que les figurants placés dans le film qu’on vient de voir, déambulant tous cravatés dans les cours intérieures ou sous le dôme de Soufflot, ne sont, à son sens, guère représentatifs du « peuple lyonnais », et qu’il craint somme toute une forme de « captation » des lieux au profit des plus riches. Gérard Collomb lui répond que s’il possède juste de quoi boire un café, il lui sera toujours plus agréable de boire son café dans un lieu joliment restauré, et parmi des gens cravatés, plutôt que dans les cafés de l’actuelle rue Bellecordière !
Cette question de « la captation des lieux » par les plus riches est bien au centre du débat qui se prolonge avec l’intervention de plusieurs représentants d’associations. L’Esprit Canut rappelle que si cette rénovation du bâtiment sert de prétexte au détournement du monument (car il s'agit de la mémoire des lieux), elle n’est tout simplement pas concevable. A quoi bon rénover un bâtiment si c’est pour tuer le monument ? La Renaissance du Vieux-Lyon s’inquiète des garanties qu’auront les associations de pouvoir être accueillies au PRES (pôle de recherche de l’enseignement supérieur) lorsque les signatures seront faites. Comment le maire garderait-il la main pour que le projet demeure lyonnais ? Un vieux monsieur accuse : « Il faudrait faire un geste pour ceux qui ne comprennent pas votre projet. Réserver une place pour une crèche et un établissement pour personnes âgées, c’est-à-dire pour les plus fragiles. Autrefois, les édiles lyonnais s’intéressaient à ce type de population ».
Collomb répond toujours de façon biaisée, en évoquant ce qu’il fait ailleurs, des logements sociaux, des rénovations de quartiers : comme si l’un devait forcément exclure l’autre. Comme s'il n'avait pas été possible, en prenant son temps, de ficeler un projet vraiment culturel dans ce site d'exception, au lieu de ce projet bling-bling, tape-à-l'oeil et clinquant.
Et l’on finit par penser qu’on est là au cœur de sa politique : la sectorisation du territoire au prétexte du social et le mépris de la culture patrimoniale au nom de l’affairisme contemporain ...
11:37 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : hôtel-dieu, lyon, eiffage, gérard collomb, didier repellin, michel chenevat |
Commentaires
Écrit par : patrick verroust | mercredi, 16 février 2011
Écrit par : solko | mercredi, 16 février 2011
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 16 février 2011
Écrit par : solko | mercredi, 16 février 2011
Écrit par : Sophie K. | mercredi, 16 février 2011
Je ne vois pas pourquoi on ferait de ce bâtiment un immense musée à moitié vide impossible à entretenir qui grèverait une énorme partie du budget culture, ni pourquoi des projet de crèche ou de maison d'accueil auraient la moindre légitimité à habiter ce lieu plutôt qu'un bâtiment placé stratégiquement et fait pour.
Laissez Lyon devenir ce qu'elle devrait déjà être, c'est à dire une alternative à Paris, et si les riches vous emmerdent il va falloir s'y faire, c'est avec eux qu'on construit une ville d'envergure internationale.
Écrit par : Mathieu | mercredi, 16 février 2011
Votre discours est affligeant et très loin du réel.
Écrit par : solko | mercredi, 16 février 2011
Mais oui invitons les, convions les ! Ces égoïstes, ces sots, ces fats, qui ne se réunissent qu'entre eux, qui se soustraient aux lois de la République pour ôter quelques milliers d'euro au Trésor public, ces riches qui méprisent le "peuple" mais vivant dessus comme des parasites ! Invitons-les ces crevures néolibérales au festin gastronome Lyonnais !
Ah ! et puis l'alternative à Paris c'est bien trouvé, mais ce serait plutôt Londres ou New York qui attirerait (lire Saskia Sassen) le trader en mal de bonus, l'investisseur en mal de marge... Et demain ce sera Shanghaï ! Lyon ? ville de province, elle le restera encore pour l'économie mondiale.
Du passé faisons table rase, oublions le ce passé si opportunément mis en scène lors des grandes foires mémorielles... Alors oublions tout aussi opportunément ce que fut L'Hôtel Dieu pour les Lyonnais : un lieu de vie. On y naissait, on y crevait, on s'y soignait. On innovait aussi, mais de cela n'en parlons plus.
L'Hôtel Dieu est plus qu'un amas de vieilles pierres qui ravira le geek consumériste, il est le symbole d'un certain humanisme lyonnais, comme son hôtel de ville...
"Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant" Tacite
Écrit par : Upsilon | mercredi, 16 février 2011
Cela dit, le coup de l'Hôtel Dieu, c'est un sacré kidnapping...
Bien à vous.
Écrit par : solko | mercredi, 16 février 2011
La vue sur le Vieux-port y est superbe et l'on aurait tant aimé y voir rapatrier l'école des Beaux-arts, tanquée dans les calanques.
Écrit par : ArD | mercredi, 16 février 2011
On n'entend pas (ou on entend trop) là-dedans, la position du Grand-Lyon, qui, normalement, a la compétence patrimoniale.
Le seul argument (ou l'argument essentiel) avancé par le maire de Lyon étant "l'économie" de la charge de 150 millions d'euros que coûterait la restauration de l'Hôtel-Dieu, et que ne pourrait assumer la ville, quelle garantie donne-t-il que la ville de Lyon n'aura pas à payer pour "ses" riches bien plus qu'elle n'eût eu à le faire pour un projet respectueux de la population lyonnaise dans son ensemble.
En clair, n'y a-t-il pas dans le projet imposé, des "prêts" qui seront récupérés au centuple par les spéculateurs de tous poils et dont les Lyonnais feront les frais, comme c'est le cas pour Marseille. Sinon, comment justifie-t-on que l'argent public soit employé à payer des travaux dans des bâtiments aliénés au privé.
Écrit par : Michèle | jeudi, 17 février 2011
Écrit par : solko | vendredi, 18 février 2011
Écrit par : Frasby | vendredi, 18 février 2011
Voilà qui promet pour 2012 !
Écrit par : solko | vendredi, 18 février 2011
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