mardi, 25 mai 2010
La table de Claude (2)
Au rendez-vous de mon carreau, deux seuls paysages : l’un alignant des quartiers cossus jusqu’au milieu des nuages bas, au plus lointain de la plaine, et parfois jusqu’au Mont-Blanc ; l’autre claquant la porte à la verticale au nez du couchant, contre le pli luisant d’un roc, coiffé par le vaisseau gris d’une basilique aussi colossale qu’inachevée.
La vieille fabrique de soie n’avait pas encore brûlé tous ses métiers, puisque l’un d’entre eux battait encore au rez-de-chaussée de mon immeuble. Rescapé. Survivant de la déroute. Soir et matin, dans l’allée malodorante, son vacarme interpellait mes songes. On ne peut qu'aimer un tisserand : sa solitude au métier n'a d'égal que celle du laboureur à la charrue, du pêcheur au filet. Nourrir et s'habiller, le seul souci des pauvres jusqu'il y a peu; leur seul respect, également.
On ne se doute pas de l’état dans lequel la ruine d'une manufacture vieille de plusieurs siècles avait laissé la colline aux canuts : des immeubles entiers, vidés. Des commerces, par dizaines, murés. Des rues moites, des grilles rouillées, des cours muettes et des pierres impassibles d'humidité. Et dans le reliquat d’un brouillard qui vivait là ses dernières années, des passants à peine sortis du mutisme de leurs ancêtres, regagnant le soir le domicile, le matin l’usine, le magasin ou le bureau.
Le quartier des ouvriers, c’était désormais Feyzin, c’était Vénissieux.
Aussi, au rendez-vous de mon carreau, rêvai-je de légendes. Je n’étais pas le seul. En rangs dociles, après la distribution du lait chocolaté du bon monsieur Mendes France, nous regagnions la salle de classe où chacun avait son banc, son encrier, son cahier, devant un tableau noir et une République administrative et coloriée. Le préau, bordé de hauts arbres, existe encore, ainsi que les marches abruptes de l’escalier qui tombent sur le fleuve. Avec l’instituteur en blouse grise, nous apprenions que ce fleuve n’était pas seul au monde. Qu’existaient tout aussi bien la Seine, la Garonne, la Meuse. Et que le plus long de tous était encore la Loire.
(La suite chaque mardi)
06:10 Publié dans La table de Claude | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : canuts, littérature |
Commentaires
J'attends la suite...
Écrit par : nauher | mardi, 25 mai 2010
Écrit par : romain blachier | mardi, 25 mai 2010
Bis-ten-cla-que-pan
Bis-ten-cla-que-pan...
Écrit par : Michèle | mardi, 25 mai 2010
Très beau cadeau que vous fit votre collègue en vous offrant la Conquête du Pain achetée par son père.
Merci
Écrit par : solko | mercredi, 26 mai 2010
Je ne sais pas si ce sera avec l'accent, mais j'essaierai d'être des vôtres le temps d'un apéro à échelle humaine.
Écrit par : solko | mercredi, 26 mai 2010
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