Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 22 février 2009

Chez tante Zize

On remettait hier, à l'Institut Lumière à Lyon, le 5ème prix Jacques Deray. Jacques Deray (1929-2003), c'est Le Gigolo (1960), La Piscine (1969), Borsalino (1970), Flic Story (1975), Trois hommes à abattre (1980), c'est à dire du bon polar populaire. Le prix qui porte son nom récompense  donc le meilleur polar de l'année. Après 36 quai des orfèvres d'Olivier Marchal (2004), De battre mon cœur s'est arrêté de Jacques Audiard (2005), Ne le dis à personne de Guillaume Canet (2006) et Le deuxième souffle d'Alain Corneau (2007), Pascal Thomas fut hier soir le lauréat de la cinquième édition. Pour ma part, je ne vais presque jamais au cinéma. Un ami m'avait traîné l'an dernier à l'UGC Odéon à l'occasion d'un passage à Paris, j'avais vu un navet sur Amin Dada dont je me suiis remémoré quelques images, quelques effets faciles, dans le métro en allant à l'Institut Lumière hier soir. Auparavant, je crois que je n'avais pas mis les pieds dans une salle obscure depuis 1998. Et donc, "Le Crime est notre affaire" fut le second film que j'aurais vu en salle du siècle présent. Je tiens là peut-être un record.

C'est vrai que l'Institut Lumière, rue du Premier Film à Monplaisir, est un lieu émouvant. Pour beaucoup de raisons. Cette  place toujours vide et assez triste, où trône l'horrible monument élevé à la mémoire des frères Lumière, signe l'arrivée dans les lieux. La villa familiale d'un cossu assez dix-neuvième et très mastoc, villa d'industriels - je n'aime pas trop -.  C'est à partir de la rue du Premier Film qu'on peut rêver un peu; je revois la sortie des Usines, l'homme en vélo, le chien qui aboie - et je ne peux qu'avoir la page de Béraud en tête, cet atelier - l'une de mes grandes tantes, enterrée à présent dans le cimetière de Francheville-le-Haut, a passé sa vie dans cette usine -  Lorsqu'elle venait deux ou trois fois par an nous rendre visite, avec toujours les mêmes sortes de gateaux, je lui trouvais un air moustachu, sous une toque beigeâtre. Je me suis souvenu aussi d'une voix nasale assez désagréable, et j'ai imaginé sa vie dans cette rue d'un faubourg à l'époque, cette tante qu'on surnommait "la tante Zize", ouvrière conditionneuse de plaques photographiques, une vie assez triste, avec un fils handicapé à cause d'une tuberculose d'enfance mal soignée, mort lui aussi. Trace d'une famille qui a toujours été assez lointaine, et à présent disparue. Pour moi, l'Institut Lumière, c'est chez Tante Zize.

Chez tante Zize, hier soir, Bertrand Tavernier a donc remis à Pascal Thomas son trophée après la projection du film. Une fantaisie policière,  à vrai dire, plus qu'un polar, avec Dussolier et Catherine Frot, laquelle tient le film sur les épaules. Quand je lisais des polars, je préférais Simenon à Agatha Christie. C'est Pierre Bayard, récemment, qui m'a un peu ouvert les yeux sur le coté comique, voire même farfelu et pas du tout rigoureux - au contraire de la légende - des romans de Christie. La limite n'y est, en effet, jamais net entre délire et théorie, chez Poirot  comme chez les autres enquêteurs. Dans "Qui a tué Roger Ackroyd", il s'amuse a ré-écrire Le Meurtre de Roger Ackroyd et en conduisant une autre enquête, il trouve un autre coupable. Il s'amuse. Pascal Thomas, lui aussi, s'amuse. Il met en avant le coté ludique des enquêteurs dans cette histoire qui joue sur les clichés. De magnifiques décors, au passage. Une narration pépère, reposante. Dire que je me suis amusé serait beaucoup dire. Mais je ne me suis pas ennuyé. Le public non plus. Que des grisonnants, chez tante Zize. Tavernier, que je n'avais pas vu depuis longtemps, et Pascal Thomas, c'est blancs cheveux et cheveux blancs. Tous ces vieux gamins se la jouent un peu relâché,  avec une cour de trentenaires qui les appelle par leur prénom. Au moment des discours de circonstances, ils ont du mal à ne pas devenir agaçants, les deux vieux.  Leur public ressemble au public des premières. Je me demande quel regard la tante Zize poserait là-dessus, elle. En recevant son prix, Pascal Thomas, qui a suspendu deux fois sa carrière de cinéaste pour celle de collectionneur, s'est arrangé pour placer le nom de Saint-Laurent, -  me souviens plus comment. Neuf ans collectionneur : un parfait notable, cet amuseur. A-t-il réservé son billet pour la vente de demain au Grand Palais? Qui sait. Quelle distance, dans le vieil atelier des Lumière, de cette gent prétendument culturelle jusqu'à ma tante Zize et ses gâteaux, sa toque, son respect des convenances, ses principes (elle avait le tutoiement moins facile que nos éminences cinématographiques...) ! En sortant, j'ai pensé à son petit pas trottinant il y a des ans sur ce même trottoir, je l'ai vu passer et repasser par cette rue du Premier Film, avec toutes ses copines-ouvrières, que je n'ai jamais ni vues, ni connues.  Elle portait toujours des chaussures à talons plats, marrons, assez vilaines. Sur le mur de l'Institut, même Woody Allen a sa plaque ! Pas la tante Zize. C'est dire !

Ma tante Zize n'a jamais amusé personne.

Pas même moi.

Du coup je lui dédie ce billet. A elle, comme à tous les inconnus illustres de la rue du Premier Film.

 

crimeaffaire.jpg

Commentaires

C'est marrant comme fonctionnent les réminiscences : c'est en chemin pour le cinéma qu'on se rappelle le dernier film vu.

Et alors, c'était comment " Le Crime est notre affaire " ? ça valait le déplacement ?

Ceci dit, à l'Institut Lumière, j'irais voir même le navet sur Amin Dada.

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 22 février 2009

" La tante Zize ", ouvrière conditionneuse de plaques photographiques, on la voit, dans cet atelier, dans cette usine. Dans sa vie, qui ne lui aura pas laissé le loisir de voir dans quelle Histoire elle s'inscrivait...

C'était quoi, la sorte de gâteaux ? J'en ai l'eau à la bouche.

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 22 février 2009

Comme je suis en train de faire des commentaires à mesure que le texte s'écrit, j'ai la réponse à ma première question directement dans la suite du texte. Merci, Solko.

Je dirai juste que j'adore Dussolier, que j'aime beaucoup Catherine Frot et que ça ne m'étonne pas qu'elle porte le film sur ses épaules. Dussolier ne doit pas être mal non plus.
Veinard que vous êtes d'avoir vu ce film à l'Institut.

Si je vais le voir dans un des petits cinémas tarbais, je me remémorerai que quelqu'un le vit à l'Institut Lumière, que pour lui c'était "Chez tante Zize", l'ouvrière conditionneuse de plaques photographiques...

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 22 février 2009

@ Michèle Pambrun : Eh bien ça alors ! C'est bien la première fois qu'en relisant un texte que je viens de publier, pour voir s'il n'y a pas de fautes, je trouve trois commentaires ! Michèle, la commentatrice qui tire plus vite que son ombre ! Merci !
Les gâteaux de tante Zize étaient des espèces de brioches avec des pralines et du sucre glacé dessus, et un goût de fleur d'oranger que mes papilles d'enfant n'appréciaient que très modérément, je dois dire.

Écrit par : solko | dimanche, 22 février 2009

Avec la tante Zize, ses souliers marron à talons plats, ses brioches à la fleur d'oranger, ses visites deux, trois fois l'an, son fils handicapé à la suite d'une tuberculose d'enfance mal soignée, son vélo et ses copines à la sortie de l'usine, sa rue où se pressent maintenant les têtes blanches du cinéma, c'est un pan de notre histoire que vous nous rendez.
Cette filiation que vos yeux d'enfant n'imaginaient pas forcément glorieuse, le devient pour nous. Tante Zize est l'héroïne d'une histoire retrouvée, pas seulement la sienne ou la vôtre, mais l'histoire réelle des hommes. Celle des inconnus de cette rue du Premier Film, celle de tous les inconnus qui ont fait que le monde est encore monde. Nous tous, palimpseste...

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 22 février 2009

Savez vous cher Solko que votre tante Zize vient de réveiller quelques fantômes ? Soyons fous, grâce à nous elles viennent de se rencontrer et se racontent leur vie respective en buvant des verres d'eau sucrée à califourchon sur des nuages.

Écrit par : simone | dimanche, 22 février 2009

Se prénommait-elle Denise ?

Écrit par : Nénette | dimanche, 22 février 2009

Votre nouvelle bannière de blog est très réussie, félicitations.

Écrit par : Nénette | dimanche, 22 février 2009

- Il faut espérer que ce n'est pas parce qu'elle semait la zizanie !

Écrit par : simone | dimanche, 22 février 2009

"La tante Zize"! mais continuez Solko! parlez nous de vos autres tantes, et des oncles, de tous! j'adore ça!

Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 22 février 2009

Ah mais je vois à l'instant chez Simone que vous avez déclenché une vague de tantes et d'oncles! parfait! parfait!!!

Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 22 février 2009

Je crois que cette tante se prénommait Elisabeth. Mais au fond peu importe. Je retiens surtout l'incroyable mutation de l'usine Lumière où cette tante travaillait parmi d''autres gens anonymes et "normaux' en cet institut, un "lieu" de mondanité pseudo culturel et fort contemporain où des gens viennent pour tout un tas de raisons fort éloignées de celles de la tante Zize, qui venait là pour gagner sa croûte. Et la soirée m'a révélé une fois de plus ce contraste entre deux mondes, deux siècles serais-je tenté de dire, l'un qui s'efface, l'autre qui se cristallise peu à peu.

Écrit par : solko | dimanche, 22 février 2009

Solko, oui, oui, on avait bien compris le contraste, que vous mettez très bien en lumière (c'est le cas de le dire, ah ah), et compris que c'est l'objet de votre billet, et que peu importe que la tante Zize s'appelle Elisabeth, mais n'empêche...n'empêche...cruche comme je suis, je suis bien contente de savoir que la tante Zize s'appelait Elisabeth!!! (ça change un peu ma vie!)
En fait tous les lieux transformés en "autre chose" sont tragiques, et pour moi spécialement les églises. Mais il y a aussi à Nantes un truc atroce qui s'appelle Le Lieu unique avec des expositions, "rencontres" etc, dans l'ancienne usine des biscuits Lu: horrible.

Écrit par : Sophie L.L | dimanche, 22 février 2009

@ Sophie : Une église désacralisée, oui, et transformée en lieu culturel, c'est consternant. Voir "la clope de Paques", le superbe texte de l'ami Pascal à ce sujet.

Écrit par : solko | dimanche, 22 février 2009

En coup de vent: superbe la gerbe d'or, nombreux extraits à citer!!!! Merci!!!

Écrit par : tanguy | dimanche, 22 février 2009

Sophie je ne savais pas que Le Lieu unique était l'ancienne usine des biscuits Lu.
J'ai failli y aller l'an dernier.
Je n'y mettrai pas les pieds, vous pouvez m'en croire.

Écrit par : michèle pambrun | dimanche, 22 février 2009

Et que dire des anciennes mines, transformées en musées dans le Nord ? Je n'ai jamais visité mais j'ai vu des reportages. Etrange impression...

Écrit par : solko | dimanche, 22 février 2009

... ou dans le massif central:à Jumeaux,(pas loin d'Issoire), par ailleurs ville de Peynet (!!!), autrefois cité minière, la mine a été en effet transformée en musée (de la mine certes mais c'est étrange)

Écrit par : Sophie L.L | lundi, 23 février 2009

Et pourtant, ça s'est toujours fait, car il faut soit démolir, soit "recycler". On a démoli les Halles de Lyon aux Cordeliers, on a failli démolir la gare des Brotteaux, mais on l'a "convertie" en restaurant et magasins. Pour les églises, il y a la notion que l'important ce sont les gens, les "pierres vivantes", et que le bâtiment lui-même peut être affecté à un autre usage, on consacre une église, et on la "déconsacre", le terme n'est pas juste, mais il recouvre une réalité. Comment rendre compte de l'étrange impression dont parle Solko ? C'est à la fois, j'y étais, comme... pratiquant, priant, ouvrier, et je n'y suis plus, ou j'y suis changé, parce que je suis en retraite, je ne fais plus partie du personnel, etc... Vaste question très intéressante qui rejoint le "Qui suis-je" ? et aussi dans la pensée chrétienne : vous êtes le temple de l'Esprit saint. Les gens se transforment constamment, d'enfant en adolescent, d'adolescent en homme mûr, etc, et pourtant, ce sont toujours les mêmes, ils évoluent en restant soi. Et dire que je projetais d'aller voir la tour Lu à Nantes...

Écrit par : Nénette | lundi, 23 février 2009

Les commentaires sont fermés.