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lundi, 16 février 2009

Brouillards de Lyon

« Dans le tramway ferraillant de jadis, lorsque nous allions à l'école, les matins d'hiver et d'automne, un monde confus, peuplé de spectres familiers, défilait derrière les vitres embuées. C'était le temps du brouillard : dès octobre, il s'établissait sur la ville, comblant le vide des rues et des places, voilant les collines, amortissant les bruits, emprisonnant les êtres : il avait son odeur et sa saveur. Grâce à lui la nuit se prolongeait jusqu'au milieu du matin; au début de l'après-midi seulement l'univers vaporeux, pour une heure, s'éclairait : un rayon fugitif tombait sur les squares, où le bronze des statues luisait de sueur froide, et sur les fleuves coulant vers d'invisibles horizons de lumière. Puis l'obscurité revenait : chacune de ces journées ressemblait à celle qui l'avait précédée. Monotonie noire ou claire-obscure que troublait parfois une éclaircie. Et chaque fois, sous la neige, la pluie, ou à la lumière insolite d'un matin limpide, nous croyions, en nous réveillant, découvrir sous nos fenêtres une ville nouvelle. L'avons-nous assez aimé, ce brouillard dont nous nous sentions captifs et qui nous mettait face à face avec nous-mêmes ! Dans les rues, à la tombée de la nuit, nous cherchions à tâtons notre chemin, frôlés par des ombres que reflétaient des vitres ternies. Les vapeurs voilaient mais ne déformaient pas la réalité : comme dans la caverne originale, nous regardions des êtres s'approcher, grandir, s'éloigner et se fondre dans le néant et le silence. S'il nous arriva parfois de nous révolter contre ce monde étrange, le brouillard oppressant, à l'instant même, étouffa notre blasphème. Il serrait notre poitrine, notre cœur et notre pensée : pour avoir si longtemps éprouvé son étreinte, nous nous sentirons toujours mal à l'aise dans l'univers large et clair que nous avons maintenant découvert »

Jean Reverzy, A la recherche d'un miroir, Julliard (1961 - posthume)

fourviere brume.jpg
Lithographie de Fonville (1805-1856), datée de 1933

« Le gris est une couleur avouable. La lumière se manifeste dans le gris autant et plus tendrement que dans les tons tapageurs. Les objets qui se meuvent au-dessus d'un horizon gris ont leur harmonie aussi bien que ceux que dessine crûment la lumière d'été. Allons-nous renier nos beaux soirs de grisaille, où nos collines, nos ponts, nos quais, nos maisons, sont baignés dans une buée d'ardoise claire et comme poudrée ? Ce soir, que nous avons vu embrasé en d'autres saisons, est gris, gris, gris, d'un gris qui semble porter les nuages noirs au panache blanc, l'horizon lui-même et les fumées de la ville. Des cheminées d'usine sortent avec lenteur des panaches sombres qui tracent des horizontales majestueuses dans l'ouate. »

Pétrus Sambardier, Le Salut Public, 10 janvier 1928

01:21 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, brouillard, reverzy, pétrus sambardier, lyon, fonville, culture | | |

Commentaires

De Reverzy, je n'ai lu que Le Passage.
Vous me donnez envie d'aller plus avant !

Écrit par : simone | lundi, 16 février 2009

le gris n'est pas une couleur, c'est une variation d'intensité lumineuse.

REBORDS DU GRIS

La brume a des couleurs
Que la cécité éclaire
De ses avantages en nature

Comme une saveur de fruit
Qui s'oblitère en dépulpant
Sa membrane d'obsidienne

Comme un château de sable
Qui flotte sur la mer
Etoilée par les bannières
Des ruissellements du vent

Écrit par : gmc | lundi, 16 février 2009

@ Simone :
Les éditions Flammarion ont publié dans leur collection "1001 pages" toute l’œuvre de Reverzy, y compris ses écrits autobiographiques (Le Mal du Soir, et sans une moindre mesure, A la recherche d’un miroir. On y trouve aussi "Place des Angoisses" et bien sûr "le passage".
C'est une oeuvre vers laquelle je reviens souvent également.

Écrit par : solko | lundi, 16 février 2009

@ GMC : J'ai toujours aimé le gris. Vous aussi ? Est-ce un goût climatologique, de lyonnais ou d'alsacien ?

Écrit par : solko | lundi, 16 février 2009

Merci Solko pour ces deux passages.

Écrit par : Sophie L.L | lundi, 16 février 2009

Le gris effectivement n'est pas une teinte puisque le noir n'existe pas. Le blanc absolu non plus or il en existe de multiples ... Le gris serait il un état d'âme ? Deux teintes ne peuvent vivre seules, le gris et le beige et pourtant, il me semble que ce sont les plus répandues. Aurions nous peur de ce qui claque ?

Écrit par : simone | mardi, 17 février 2009

@ Simone : "peur de ce qui claque" ? En matière de teintes, vous êtes hors de danger sur toute suspicion à ce sujet !

Mais c'est vrai que le gris n'est pas réellement une couleur : au fond -et selon les humeurs du moment-, il est le verre à moitié plein ou à moitié vide. Il atténue le noir, ce qui évite d'en broyer. Il atténue le blanc, ce qui évite d'être aveuglé par l'éblouissement. Le reste est question de regard et d'inclination sur ce qui nous manque : noir ou blanc ?

Écrit par : Michel | mardi, 17 février 2009

@ Michel - votre dernière phrase me plait beaucoup ... Finalement nous ne réfléchissons pas suffisamment sur la nature des couleurs. Il faut dire que certains s'en chargent jusqu'à la caricature en affirmant que les teintes ont une influence sur le caractère. A mon avis, c'est inverser le problème !
Si j'ajoute que celle que je préfère est le rouge, (et pas n'importe lequel) vous ne serez pas surpris bien entendu.
Or avant de symboliser la révolution, ce fut celle des empereurs ce qui en dit long sur les significations.

Écrit par : simone | mardi, 17 février 2009

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