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jeudi, 17 juin 2010

Les Mémoires de Guerre sont-ils de la littérature ?

C. Domaine : Littérature et débats d'idées - Littérature et histoire
Œuvre : Mémoires de guerre, tome III, « Le Salut, 1944-1946 », Charles de Gaulle.

Instructions officielles

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Grotesque, ce débat qui s’éternise, initié probablement par les lettreux du SNES, à propos de la présence des Mémoires du général De Gaulle au programme de TL de l’an prochain. Les Mémoires de Guerre, pas de la littérature ?

Il serait plus pertinent de retourner la question : qu’est-ce que la littérature aux yeux d’un militant borné ? Sûr que De Gaulle n’a pas, à priori, cette étiquette d’écrivain consensuel collée sur le képi. C’est bien ça, justement ça, ça qui est intéressant !

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a en moi d’affectif imagine naturellement la France telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle »…

Pour moi, cela vaut largement la prose de Quignard, qui est également au programme.

Que les mémoires de de Gaulle soit un texte subjectif et polémique, c’est bien évident. Quel grand texte ne l’est pas ? C’est même cela qui fait son intérêt premier. La dramatisation de l’événement, la mise en scène de soi, la vision du monde empreinte de solennité et de burlesque, le dédoublement du personnage…

Il est certain que de Gaulle n’est pas Claude Simon qui écrivit la Route des Flandres, sur la même période. De Gaulle n’est pas, autrement dit un novateur ni un chercheur ni un expérimentateur. De Gaulle n’est pas Joyce. C’est bien le moins qu’on puisse dire ! Il est un mémorialiste, pas un romancier. Les Mémoires ne sont-ils pas un genre littéraire ? Et, très franchement, De Gaulle vaut très largement Malraux ou Sartre, pour parler de contemporains... Ou d’autres, par centaines, qu’on trouve dans les manuels scolaires. Son écriture est classique, et alors ? Les élèves actuels auront au contraire tout intérêt à rencontrer une fois dans leur existence ce phrasé correct, traditionnel, inspiré et imité des mémorialistes du grand siècle comme de Chateaubriand, mais aussi souple, contemporain, à quelques décennies près.

Ce qui gène les gens de gauche évidemment, c’est que De gaulle n’est pas qu’un écrivain. Cela aussi, on l’aura bien compris. Leur dirai-je que les Mémoires sont non seulement un grand livre, un livre instructif, mais aussi un livre drôle ? L’entendront-ils ? Car ce livre, et principalement la partie au programme, démystifie les coulisses du pouvoir, met en scène le mythe en train de s'élaborer et en révèle les zones d’ombres. Les réflexions de de Gaulle face à Roosevelt ou Staline ne manquent pas de sel. Les passages avec Hopkins ou Truman, dans la partie au programme (Tome III, « le salut »), non plus. Peut-être que quelques professeurs de lettres un peu dissonants par rapport à l’idéologie officielle oseront toucher deux mots à leurs élèves de Béraud, puisque l’épuration parmi les gens de Lettres y est évoquée : « Les cours de justice condamnèrent à mort plusieurs écrivains notoires. S’ils n’avaient pas servi directement et passionnément l’ennemi, je commuais leur peine, par principe. Dans le cas contraire, je ne me sentais pas le droit de gracier » C’est dit clairement : Pour de Gaulle, qui suivit en cela Mauriac et aussi le dossier du procès, Béraud n’a jamais été collaborateur comme l’ont prétendu ceux qui voulaient sa peau. Dans cette partie, « Le Salut », le général de Gaulle évoque aussi une affaire que connaissent bien les habitués de Solko : l’échange des billets. « Les propriétaires avaient à présenter et, par là même, à déclarer leurs titres. On les leur remplacerait, franc pour franc, par de nouvelles vignettes. Du coup devenaient caduques les coupures qui n’étaient pas remises aux guichets publics, celles notamment que les Allemands avaient emportées chez eux, celles aussi que leurs possesseurs préféraient perdre plutôt que d’en avouer le total. » Succulent, non ?

Pour une fois qu’il y a au programme de Lettres un livre intéressant, original, profitez-en au lieu de vous lamenter…

08:57 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : de gaulle, mémoires de guerre, programme de lettres, littérature | | |