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samedi, 23 octobre 2010

Louis Cretey au musée des Beaux-Arts de Lyon

C’est une très bonne idée que le Musée des Beaux-Arts a eue de rendre justice à Louis Cretey, peintre méconnu. C’est le blog Des(illusions) qui avait attiré mon attention sur l’exposition. Et puis je me suis rappelé que j’avais reçu une invitation et je m’y suis donc rendu hier soir. Si depuis une vingtaine d’années, l’œuvre est lentement exhumée, on ne sait pas grand-chose de l'existence de son créateur, sinon qu’il est né entre 1630 et 1635, dans la paroisse de Saint-Pierre le Vieux à Lyon. C’est d’ailleurs par cette information que l’exposition du Palais Saint-Pierre accueille le visiteur, avant de lui  proposer la découverte progressive d’une soixantaine de tableaux rassemblés pour l’occasion. Il pénètre alors dans un univers oscillant entre la convention et le merveilleux, la scène de genre et l'invention, l'édification et le dépaysement.

La vie mondaine de Cretey s’est partagée entre des séjours à Lyon et des séjours à Rome où il serait mort après 1702. L’exposition réussit dans sa présentation à rendre compte de l’évolution du style du peintre, des très grandes toiles exposées dans les églises comme le Christ et les pèlerins d’Emmaüs ou la vision de Saint-Jérôme, à des tableaux aux dimensions plus raisonnables, conçus à l’attention des collectionneurs, comme ceux-ci ronds (Saint-Antoine ermite, Saint-Julien dans un paysage) ou octogonal (La Transfiguration).

J’ai quitté l’exposition en emportant avec moi cet effroi questionneur lu dans l’œil de ces personnages devant ce Dieu évidemment toujours hors-champ, toujours absent de la nature dans lequel ils naissent, vivent et meurent, et vers lequel toute leur chair est tournée.  Tableaux édifiants, certes, mais tableaux cependant troublants par leur façon de ne jamais montrer ce que désignent leurs mouvements et leurs lignes. Me demeure à l’esprit également ce traitement particulier que ce peintre eut de la couleur et des contrastes qu’il aménage, entre classicisme et naïveté (comment dire cela ?). Et je me souviens particulièrement des drapés miroitants des robes (bleue du Christ, rouge de Saint-Jérôme, blanche de Saint-Bruno).  Comment aussi ne pas s’étonner du traitement accordé à ces visages, visages déformés et qu’on dirait masqués, masques aux traits figés entre animalité et humanité et qui se bornent à n’être que des regards. Seul bémol : j'ai rencontré chez ce peintre un souci obsessionnel de la diagonale. Souci parfois lassant pour l’œil, mais qu’équilibre la présence dans de nombreux arrière-plans d’une nature foisonnante et ténébreuse, forêts aux troncs épais,  aux frondaisons sinueuses, ciels ardemment nuageux, et qu’on dirait presque déjà romantiques. Ces décors m’ont parfois entrainé dans des souvenirs de lecture hofmanniens, comme si ces personnages de Cretey qui peuplent ses scènes mythologiques ou religieuses,  saints, soldats, dieux ou héros, étaient nés d’un coup de crayon plus fantastique que classique : je pense à ces trois moines blancs comme des pierrots lunaires, à ces nombreux saints en arrêt devant la vision d’un sacré juste aussi mirobolant qu’effroyable.  Au centre de l’exposition, cette question digne de Magritte et ingénument  posée au visiteur : que représente ce tableau ? On y voit le corps dénudé d’une femme, donnant le sein à un corps monstrueux, tandis qu’au fond, quelque scène en effet énigmatique de sorcellerie se déroule. Le tableau eut de multiples titres et les organisateurs de l’exposition ont laissé un cahier auprès de cette Bacchante énigmatique pour recueillir vos suggestions :

 

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Louis Cretey n’est pas, certes, un peintre majeur.  En 1757, l’abbé Pernetti qui le trouvait « admirable dans le clair obscur et la composition », le disait par ailleurs «mauvais dans la justesse des formes et maniéré ». Cet entorse au classicisme aujourd’hui n’arrête plus l’esprit et j’ai trouvé dans son œuvre vite entrevue ce soir une unité, un cachet, un parfum.  Et puisque le musée des Beaux-Arts offre la possibilité de le connaître, on aurait tort de s’en priver. L’exposition reste en place jusqu’au 24 janvier 2011.

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 Louis Cretey, Saint-Jérôme

 

 

mardi, 08 juin 2010

La table de Claude (4)

Son passé, précisément : peut-être serait-il moins ténébreux si l’on m’en touchait quelques mots à l’école. Je pressens des convulsions terribles, quand je compare la pierre et le pavé anciens, par exemple, aux visages qui m’entourent. Des distorsions à peine crédibles. Des foules de gens sont passées par là avant nous, ont empilé ces pierres derrière lesquelles nous habitons. Ont laissé des formes, des odeurs. Des histoires dont les traces demeurent malgré le silence. Mais je ne dispose d’aucun instrument de navigation pour mesurer les écarts amoncelés entre un dix-neuvième siècle qui s’effiloche sur le tain des statues, des façades, des cheminées – et que dire des précédents ? - et ce vingtième qui nous pousse, tous. Devant les statues moussues que je croise dans le jardin du Palais Saint-Pierre, je demeure stupide et sans passerelles. Les adultes qui m’entourent manquent de temps pour m’en causer. Pourquoi évoqueraient-ils le passé? Ils n’ont pas, je le vois bien, de temps à perdre avec ça.  Et puis ils ont leur histoire, celle du temps qui est en train de leur filer entre les doigts, la seule au fond qui parait les intéresser. Est-ce parce que je sens confusément qu’elle ne sera pas la mienne, leur histoire, que je demande des précisions. Cette manie de questionner, disent-ils,  me passera bien. Et pourquoi ci, et pourquoi là ? Qu’y puis-je, si je sens trop d’absents ? Un univers de signes en décomposition, sur certains murs peints, au fond des porte-cochères, un autre qui s’élabore, auquel je ne comprends rien.  Un silence comme celui des alcôves avant de s’endormir, juste après la prière, un silence qui m’intrigue. Le monde paraît vaste. De quoi demain sera-t-il fait ?  C’est ainsi. Il faut grandir.

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Quand les explications sont uniquement scolaires, c’est-à-dire théoriques, quand à force d’être des leçons, elles ont entièrement cessé d’être des réponses, sans doute est-il légitime d’aller quêter le sens ailleurs. De tendre l’oreille à autre chose qu’à des hommes.  Des martinets, des corneilles, au matin, s'expriment aussi par delà le carreau des fenêtres. Les oiseaux d’ici sont en fait très causants. Et jamais, semble-t-il, absolument satisfaits. Vindicatifs, pour ne pas dire revendicatifs. Même si  leurs disputatios voltigeantes ne m’enseignent rien du passé de la ville, on dirait, curieusement, qu'elles me relient à lui. Leurs ancêtres, comme eux, devaient vitupérer aussi fort, c’est presque sûr.  On ne peut affirmer si c’est de colère ou de joie. Ça, qui bizarrement me rassure. Pour une raison que j’ignore, ils ne sont jamais tranquilles, comme le sont trop les humains chez qui je soupçonne quelque imposture. Plutôt que de me prodiguer des sourires assez niais dans l’ensemble, les oiseaux de la colline fuient quand je m’approche d’eux, en dandinant du croupion, ou en battant des ailes, lestement.

( A suivre)

07:11 Publié dans La table de Claude | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : martinets, corneilles, littérature, palais saint-pierre | | |