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jeudi, 12 juin 2014

La force des caractères

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Du plateau de la Croix-Rousse, la montée Hoche permet de rejoindre la Saône par un chemin qui reste très agréable, malgré le boucan des voitures et des autobus sur la montée des Esses non loin de là. Le matin, vous n'y croisez personne, tandis que les effluves de la rivière, dont César affirma un jour qu'on ne pouvait parfois décider dans quel sens elle coulait, commencent à assaillir vos narines. Et puis, songer qu'on place ses semelles de quatre sous sur la trace de sabots impériaux... L'Histoire récitée, les divertissements (de Roland Garros en coupe du monde) ne suffisent pas à effacer de nous-même la nostalgie que nous portons de sa dilution dans la contemporanéité systématique. Il faut des plaques de cette sorte, pour soudainement nous rappeler les temps plus lointains, ceux dont tous les intérêts sont passés, oui, dans toute leur redoutable efficacité.

C'est, dit Renan dans sa Prière sur l'Acropole, un vif sentiment de retour en arrière, un effet comme celui d'une brise fraîche, pénétrante, venant de très loin. L'Antiquité et ses vertus. Dans le déluge de commémorations médiatiques orchestrées autour de l'histoire récente, ce très loin, on cherche à nous le faire oublier. Pour Plutarque et ses Vies Parralèles, c'est à cela que servent - à rebours des vivants -  les hommes illustres : à nous offrir cette brise fraîche, que tu reçois conjointement de César et de Napoléon, de cette Saône au cours incertain et de la force de ces caractères aux empattements triangulaires affirmés. Antiquité : Bienfaits de la mémoire sans commencements idéologiques martelés. Songes heureux. Rêveries.

Non, malgré ce que l'on veut nous faire croire, le monde ni l'Europe n'ont pas commencé avec le Débarquement des GI sur une plage de Normandie. Et avant la Shoah, il y eut bien des morts également dignes de mémoire, des morts et des morts : le sol sur lequel tu marches en est tout imbibé, de leur sueur et de leurs caractères. Et tu es vivant, toi, dans l’insignifiance de la longue chaîne, dans la magnificence de l'instant. Vivant : ton trésor, non ta douleur, ta joie, non ta repentance, ton savoir de mémoire (par cœur), et non pas, comme le disent les hypocrites et les imbéciles,  ton devoir. de mémoire -  Chanter, s'élancer, jouir, en poète - et non pas commémorer, comme le font les affreux politiques, porteurs de mort pour de bon. 

Nous chantâmes ce qui dure, ce qui survit de métamorphose en métamorphose, ce qui fut, est, puis sera, l'union indissoluble des esprits qui ne font qu'un dès l'origine, bien que la nuit et les nuages les séparent; et nos yeux à tous s'emplissaient de larmes à la pensée de ces liens immortels. 

Ainsi parla l'un des plus grands poètes - dont je vous laisse deviner le nom - dans l'un des textes les plus poignants qu'il me fut donné de lire, et que je n'ai jamais gardé loin de ma couche depuis que j'en connus l'existence.

06:39 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, suétone, renan, acropole, napoléon, montée hoche, lyon, commémorations | | |