mardi, 01 novembre 2016
Tous les saints
L’une des raisons principales arguées par les gens qui ne croient pas en Dieu est celle-ci : le Mal. Si Dieu a créé le monde, entend-ton, pourquoi a-t-il créé le Mal ? Comment tolère-t-il la mort des innocents ? Dieu et la Shoah, entend-on ailleurs, ne peuvent exister dans le même monde. Je confesse avoir été sensible à ces arguments à une époque. Cela ne m’a pas fait douter de l’existence de Dieu, mais de sa nature telle que le judéo-christianisme me paraissait la poser à travers toute l’histoire sainte et profane. J’ai chopé à l’époque le mal Renan. Un tel doute m’a projeté pour de longues années dans une ronde assez infernale autour de cette question du mal, qui a duré pas mal de temps : cette ronde consiste à chercher un dieu dont la nature propre serait non pas à sa convenance, mais à la mienne ! Puisque le mal existe et qu’il est indéniable, cherchons un dieu qui ne serait pas omniscient ni omnipotent et qui serait donc a priori sans rapport avec lui. Bref, un dieu ont l’innocence présumée serait à l’image de l’innocence présumée de sa créature. L’athéisme dogmatique de l’homme machine à la française me paraissant contraire à ma conviction la plus profonde et l'Eglise me semblant se noyer en pleine déconfiture, je me tournais alors du côté de la sagesse orientale au sein de laquelle il est écrit que tout ce qui n’est pas divin relève en bonne part de l’illusion. Ce concept est fort pratique pour créer un dieu à sa convenance, puisque le curseur entre illusion et réalité, chacun peut au fond le positionner à l’endroit où son degré de compréhension le souhaite. Pour ma part, je rejetais le mal du côté de l’illusion, m’enlisant auprès d ‘autres dans une rêverie rousseauiste, mi christique, mi bouddhiste, à la recherche d’un syncrétisme qui fût à la fois humaniste et religieux, et qui échappât aux difficultés posées par l’Histoire, bref, qui fût en un mot à la portée de ma petite personne et de sa compréhension limitée des phénomènes. J’étais, ce faisant, à l’avant-garde de mon temps, de son humanisme droit-de-l’hommiste parfaitement décadent et de son libéralisme féru de new-age et de développement personnel. Dieu n’ayant pu créer le mal, me disais-je, l’emprise du mal sur le monde est forcément irréelle, il suffit donc d ‘ignorer cette emprise voire de relativiser son existence et, par la méditation et un mode de vie conforme à une certaine idée que je me faisais de la nature, je serai sanctifié en rejoignant ce dieu idéalisé en un lieu de la conscience où il doit résider, à l’écart du mensonge, bien protégé dans une zone de ma vérité.
Je me souviens même avoir dit et soutenu à l’époque que le Christ avait échoué en sa mission qui était de pacifier le monde, et que la meilleure preuve en était la Croix sur laquelle il était mort. Le Christ n’était plus qu’un homme qui avait échoué, et Dieu redevenait ce Dieu unitaire auquel rêvent les musulmans. Du pur Renan, ma foi. Le mal, je me noyais, infortuné, en plein dedans, et il ne tarda pas à se manifester rudement dans ma vie.
Tous les saints, en fait, ont accepté la réalité du mal. La conscience moderne, qui a inventé le mot « inhumain » pour caractériser le mal (comme si ce dernier n’était pas humain, avant tout humain) continue dans la voie de son rousseauisme étroit de croire en la bonté de l’homme démocratique et d’utiliser l’argument du Mal pour nier Dieu. Dieu a-t-il créé le mal ? Je ne me lancerai pas dans de telles arguties théologiques, en tout cas il est manifeste qu’Il le tolère dans l’histoire des hommes comme il a toléré mon erreur durant longtemps au sein de mon histoire individuelle. Tous les saints qui ont aimé Dieu plus que tout ont dû admettre cette vérité devant laquelle le monde post moderne regimbe : Dieu n’a pas créé le mal, mais il le tolère parce que le mal est le fruit de l’homme et que s’il tolère l’homme, il lui faut tolérer son péché. Ce qui ne signifie évidemment pas l’admettre. Tout mon mal fut, durant des années, de nier tout simplement mon péché en me proclamant innocent du mal des autres. Nous avons tous le moyen de trouver dans nos vies des excuses pour nous dédouaner du péché à la fois originel et collectif qui nous ronge. Selon un rapport établi par WWF et dévoilé le 27 octobre, par exemple, la sixième extinction de masse (dite de l’Holocène) a débuté sur terre et depuis les années 1970, les espèces pourraient avoir perdu 67% de leurs effectifs d'ici à 2020. Je peux toujours, étincelant yogi, m’assoupir en méditation sur mon tapis et me dédouaner de ce désastre (parmi d’autres) dont la reluisante espèce humaine est responsable. Vous, moi, nous tous. De brillants esprits (toujours les mêmes) nient l’âpre phénomène. Il se trouve que ce sont les animaux vivant en eau douce qui subissent le plus l'impact calamiteux de l'activité humaine. Or je me souviens pour ma part du sentiment très vif que j’ai eu vers l’âge de huit ans lorsque je découvris l’Azergues, rivière dans laquelle j’allais pêcher et me baigner chaque été et avec laquelle je vivais comme en osmose, draguée, polluée, ravagée, tuée en quelques saisons. L’enfant que j’étais songea alors que si les hommes étaient capables de faire subir cela à une rivière au nom de leurs prétendus intérêts, ils seraient capables de le faire subir à la totalité de la Terre : est-ce un hasard si, en parallèle, le nombre d’appareils électroménagers, d’ordinateurs, de portables, et de gadgets high-techs utilisé par des milliards d’innocents aussi urbanisés qu’autocentrés n’aura cessé de croitre ? Il semble ainsi que l’activité principale des hommes et des femmes de ma génération ait donc été de remplacer la vie animale par la vie technologique. Pas de quoi être fier, vraiment. La société du spectacle bat son plein, tandis qu’un être immense se trouve amputé de plus de la moitié de lui-même pour le confort de milliards de bipèdes ravis d ‘être soi. Le progrès, disent-ils. Le mal, pourrait-on leur répondre. Le péché, ne leur en déplaise.
Entendons-nous bien : je ne confonds pas cet Être immense qu’on pourrait appeler la nature ou la Création, ou encore l’écosystème, avec Dieu Lui-même. Je constate simplement que la charité du Père à notre égard ne tient guère à notre valeur, mais à la dimension du sacrifice du Fils. Et à la vertu du Saint Esprit. En ce sens, la justification de l’homme moderne qui ne comprend plus la notion de sacrifice, si abusé qu’il se trouve par celle d’échange entre égaux, devrait passer plus que jamais par la Trinité, comme tous les saints l’ont de siècle en siècle affirmé. Est-ce pour cette raison que tant de gens s’ingénient à faire de l’Islam qui nie cette dernière une alternative crédible au christianisme, après avoir de même tant porté aux pinacles les fausses religions du new-age, qui faisaient de même ? La Trinité, qui instaure ce rapport direct et aimant au Père a décidément beaucoup d’ennemis, qui tous se demandent pourquoi, si Dieu a créé le monde il créa aussi le Mal… Le Mal réside en fait dans la question, c’est même l’une des racines les plus prolifiques. Tous les saints ont lutté contre le Mal, et tous l’ont également subi, pour la plupart dans leur chair. Cela continue à présent, et cela semble inscrit, que cela nous plaise ou non, dans le projet historique de Dieu. Devant la persistance du Mal, garder une foi vive ne peut pas, ne doit pas être un acte raisonnable, même si bien des raisons pourraient rendre compte d’une telle nécessité pour nous tous. Il doit s’agir avant tout d’un acte surnaturel. Et donc d’un acte du Saint Esprit. Cela suffit-il à comprendre pourquoi le Mal existe ? Sans doute non. Mais au moins, faute d'avoir les moyens de le vaincre, de trouver ceux de le tenir à distance. Ce qui est déjà en vérité beaucoup.
15:43 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : toussaint, christianisme, mal |