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lundi, 05 novembre 2012

Goncourt 2012 : Jérôme et Joël, la part d'Edmond et celle de Jules...

Le gros lot de Drouant va se jouer cette année entre un Jérôme et un Joël ; un polar à la corse et un thriller à l’américaine ; deux cent cinquante pages et sept cents ;  Actes Sud et de Fallois ; in fine, entre un nommé Dicker et un nommé Ferrari. (1)

Je ne sais pas si ces deux là sont des écrivains hors pairs. Ils sont en tous cas de bons techniciens. Chacun de leurs bouquins propose un cocktail bien dosé et faussement léger d’une intrigue susceptible de séduire le grand public et d’une mise en récit visant à draguer un  lectorat prétendu intello.

Dans les deux cas, le discours qui accompagne pas à pas la progression de l’intrigue fait de celle-ci une sorte de métaphore : les aventures de Mathieu et Libero dans leur village corse, celles de Marcus Goldman et de Harry Québert dans leur ville américaine sont ainsi censées être des paraboles de la chute de la civilisation pour l’un, de la création littéraire en cours pour l’autre. Rien que ça.

Dans les deux cas également, un travail d’écriture qui s’exhibe de manière presque scolaire : En technicien appliqué, Ferrari pastiche le phrasé proustien à l’attention de son public lettré, pour mieux y mêler des répliques au ton fort commun pour un public plus mainstream. J’ai renoncé à compter le nombre de fois que ses personnages prononcent gratuitement le terme enculé. Trop fastidieux. Quant à Dicker, étudiant studieux qui a bien lu son Genette, il bricole sa progression narrative de prolepse en analepse, de mise en abime en variations de points de vue. Du style d’un côté, donc, de la complexité narrative de l’autre. Du labeur, certes.

Pourtant, ni l’un ni l’autre ne convainc. Comme s’il y manquait le plus important, un truc démodé sans doute, le souffle. Une certaine ampleur qui, au-delà du raconté, donne réellement sens au projet, et le place en résonance avec du Réel.

 Ainsi, l’encre peine sur le papier chez l’un comme chez l’autre. Trait d’époque ou marketing d’écriture ? La recherche d’un lectorat consensuel et tous publics  tient-elle de l’effet de mode ou du coup éditorial ? Ces deux récits sont finalement assez similaires dans leurs ambitions, leurs intentions, leurs exigences. Pas de quoi s’étonner, donc, qu’ils se retrouvent au coude à coude pour le Goncourt. Cela en dit long sur la mission assignée à la littérature aujourd’hui par les medias qui assurent sa promotion, et qui pourrait se résumer à ceci : divertir les classes moyennes par le haut.

Mais une littérature de simple divertissement qui cherche à se faire passer pour autre chose court le risque de paraître bien vaine. Et c’est ce qui arrive.

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Félix Nadar portraits d'Edmond et de Jules Goncourt

Je serais membre du jury, je refilerais donc à chacun une moitié de Goncourt. A l'un la part d'Edmond, à l'autre celle de Jules. Un joli boulot de style pour l’un, un job satisfaisant de narration romanesque pour l’autre. Là-dessus, parce qu’il n’y a ni chez l’un ni chez l’autre de quoi s'attarder non plus pendant des heures,  j’irais fêter ça avec mes copains journalistes dans le salon du premier étage où se trouvent de bonnes bouteilles, en laissant derrière soi - et à d’autres - les mornes considérations sur la chute de l’Empire comme celles sur les lois de la création littéraire en société libérale. 


(1) Joël Dicker : La vérité sur l’affaire Harry Québert - (De Fallois) et Jérôme Ferrari : Le sermon sur la chute de Rome - (Actes Sud)