Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 08 novembre 2010

La carte, le territoire, la capitale et le prix Goncourt

Barometre-des-ventes-livres-Michel-Houellebecq-en-tete-avec-La-carte-et-le-territoire_reference.pngLa carte et le territoire s'étend sur une chronologie de plus d’un siècle, des origines d’un grand-père, qui se perdent dans la France rurale du dix-neuvième siècle, « une sorte de flaque sociologique peu ragoutante », (p 39), à la mort de son petit fils, dans une France qui, depuis 2020,  a traversé de nombreuses crises financières et sociales, et est devenue « un pays surtout agricole et touristique, n’ayant guère à vendre que des hôtels de charmes, des parfums et des rillettes, ce qu’on appelle un art de vivre. »

Mais, annonce le texte, ce grand père, artisan photographe,  « avait été le premier d’une longue lignée à sortir de la pure et simple reproduction sociale du même » (p 40). Le petit-fils revenant mourir dans la maison familiale de  Chatelus-le-Marcheix dans  la Creuse, on peut penser que la boucle est bouclée, même si entre temps, dans ce village à la Marianne maçonnique (faire comme l’auteur, fréquenter wikipédia) les « habitants traditionnels de zone rurale » (p 414) ont été remplacés par des Russes et des Chinois aisés venus goûter le charme de la French Touch et  de ses cultures provinciales.

 

 Avec ce nouveau roman, Houellebecq  poursuit donc une espèce d'ambition dépitée, déjà exprimée ailleurs : à l’image de celle de son héros de peintre dont on suit pas à pas le développement de la carrière, « donner une vision exhaustive du secteur productif de la société de son temps » (p 123), « des processus industriels » (p 143) et de leurs irrémédiables déclins puisque dans ses dernières œuvres, «le triomphe de la végétation est total» 

 

Jed Martin est donc le prétexte et le prisme à travers lequel le périple dans le siècle s’opère : on apprend au détour d’une page (235) qu’il avait treize ans en 1981: il serait donc né en 1968, d’un père entrepreneur -ce qui le délivra des contingences matérielles - et d’une mère, dont il fut tôt orphelin, et dont il lui aurait paru invraisemblable « qu’elle ait pu être adolescente dans les années 1960, qu’elle ait pu posséder un transistor ou aller à des concerts de rocks » (p 47).

Doublement distancié par rapport à son époque, Jed Martin incarne ainsi un pur produit de l'idéal frelaté des deux dernières décennies du XXème siècle : il est également l’œil vivant devant lequel se contorsionnent acteurs et victimes (son père est un bel exemple des deux) du monde post-moderne, de ses postures aussi facétieuses que fausses, aussi  irresponsables que sécurisantes, de son impuissance chronique à produire du vrai. Il assiste ainsi à la dissolution économique, morale et culturelle de son pays, dont le titre rappelle en creux l’existence réelle (territoire) et symbolique (carte).

Le tout se déplie à la manière de « ces romans réalistes du dix-neuvième siècle français » (p 77)  dont Houellebecq caricature jusqu’à l’extrême les procédés :

-          Les interventions incessantes d’un narrateur post-moderne à présent si omniscient qu'il emprunte ses commentaires aux  notices de wikipédia pour les intégrer à son texte  (celle sur Frédéric Nihous, p 236 reste un modèle du genre), singeant, sur le mode du dégradé, le  Balzac phraseur qui, sur toutes choses donnait un point de vue.

-          Des périphrases ostentatoires dans le but d'éviter les répétions : celles que Houellebecq auteur, par exemple, applique à Houellebecq personnage, et qui lui permettent de décliner la liste de ses romans antérieurs à coup de « l’auteur des Particules élémentaires était vêtu d’un pyjama », « l’auteur du Sens du combat se recula d’un mètre »,  « une seule bouteille demanda l’auteur de La Poursuite du Bonheur » (p 164 et 165) …ne manquent ni de sel ni d’ironie.

-          Le mélange de personnages réels et fictifs ainsi que le « name-dropping », qui tant crispa l'inénarrable Ben Jalloun, procédé pourtant vieux comme le réalisme, dont Félicien Marceau dans son Balzac et son monde disait il y a quarante ans : « Nous nous sommes habitués au procédé. Proust l’a employé et Jules Romains et Aragon et bien d’autres ; Balzac, pour sa part, en a usé avec beaucoup d’audace (il va jusqu’à faire d’une de ses héroïnes la veuve de Danton) et aussi, de temps en temps, j’imagine, avec une pointe d’amusement (lorsqu’il cite son tailleur Buisson) ». 

-          La présence insistante de l’argent, du prix et de la valeur des choses : coût de la réparation au noir d'un chauffe-eau, d'un breakfast dans le limousin, prix des maisons, des appartements, des terrains, frais de la contribution par Houellebecq lui-même au catalogue de l'exposition (dix mille euros + un portrait de lui...), cote des tableaux  et spécifiquement des toiles du héros (six millions d'euros pour un Houellebecq écrivain), dans le contexte d'un marché de l'art dominé par les plus grandes fortunes de la planète  :  « sept cent cinquante mille d'euros … se dit-il. Ça n’avait aucun sens. Picasso non plus, ça n’avait aucun sens » (p 232) ; « on en est à un point où le succès en termes de marché justifie et valide n’importe quoi, remplace toutes les théories, personne n’est capable de voir plus loin, absolument personne. » (p 206)

Lire la suite

07:30 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : littérature, prix goncourt, houellebecq, la carte et le territoire, actualité | | |