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lundi, 02 juillet 2012

Déflagration en Idaho

Autour des écrivains américains s’est toujours développée une aura plus cinématographique qu’autour des écrivains européens, sommés par l’Antiquité de leur continent d’adopter une posture plus autoritaire : Cinquante ans après sa mort, l’Amérique se passionnait donc encore pour le suicide d’Hemingway comme on se passionnerait pour un roman-photo ou le baiser d'Edouard et Loana dans la piscine du loft; et plusieurs journalistes relançaient la thèse séduisante d’une filature du FBI pour expliquer son suicide à la carabine en pleine nuit, le 2 juillet 1961, dans le bureau de son chalet à Ketchum en Idaho. Le romancier qui s’était plaint à plusieurs reprises d’être filé par Hoover depuis novembre 1960, en raison de ses affinités avec Cuba et son indélicat dirigeant, passait jusqu’alors auprès de ses proches pour quelque peu paranoïaque ; comme dans un thriller palpitant, il se retrouvait propulsé au rang de prétendu agent double et de martyr politique, dans une saga nimbée d’un indéniable halo romanesque.

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Hemingway avec Marlene Dietrich, en 1938. (c) AFP ImageForum

 

Une autre face du discours propagé à l’occasion de ce suicide fut la déprime. Il y a dans la grandiose déprime de l’écrivain américain, lorsqu’elle devient chronique, un constituant véritablement héroïque, un peu comme le spleen baudelairien mais en plus glamour. La figure d’Hemingway se retrouvait alors propulsée dans la peau d’un naufragé de l’impuissance, de la cirrhose et de la dépression. Un homme à fois hors-norme et dans les normes, finalement parfaitement démocratique. Oui car là-bas, tout doit être chargé de sens, parfaitement conforme avec l’idée que le public se fait de l’écrivain internationalement adulé : un homme déjà vieilli à 61 ans, donc, et comme atteint d’un trouble existentiel. Il aurait finalement sombré dans la radicalité d’un blues aux allures de whisky et de bordeaux, jusqu’à devenir véritablement un martyr de sa réussite et de son ascension. Une version à la Marylin,  à la Who’s afraid of Virginia Woolf, dans laquelle Hemingway jour le rôle d’un Cesare Pavese en plus light (l’Atlantique les sépare). Quelque chose de peut-être moins nobélisable, quoique… En tout cas d’encore hollywoodien. La bio d’un écrivain reconnu se doit, jusqu’à ses derniers coins obscurs, d’être conforme aux intérêts de la bannière étoilée dont il véhicule la légende. Et là, incontestablement, Hémingway, avec son geste, lui transfère un peu du Langlois de Giono et de son Roi sans Divertissement.

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Dernière possibilité, d’un glaçant prosaïsme, qui n’est plus trop ni people ni ricain  : Les hémochromatoses. Ce qui serait pour l’homme de la rue une fin parmi les moins compromettantes se retrouve, pour l’écrivain écrasé du poids de la gloire, la plus tragiquement banale : un mal héréditaire provoquant une surcharge de fer dans l’organisme, déréglant le foie, le pancréas, le cœur, l’hypophyse, jusqu’à y multiplier des lésions irréversibles et insupportables. Terrible, pour un écrivain, de ne plus pouvoir s’exprimer.  « M’efforce de penser seulement au jour le jour et de travailler de même, mais les choses ont été dures et sont dures partout » écrit-il cinq mois avant de vêtir sa robe de chambre rouge et de se tuer, victime finalement comme nous tous de sa pauvre vie organique.

01:16 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : hemingway, suicide, littérature, ketchum, idaho, fbi, depression, aclool | | |