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dimanche, 04 janvier 2009

Le faucheur sans peur et sans reproche

1915 : La guerre et ses vicissitudes engendrent des besoins supplémentaires en petites coupures. On décide de créer en toute urgence un nouveau billet de 20 francs. Le moulage en plâtre d'une médaille de Bayard vu de profil, conservée à la Bibliothèque Nationale fournira et  formera le motif de la vignette, reproduit également en filigrane. Bayard devient ainsi le premier personnage historique à remplacer sur un billet français les allégories abstraites et les dieux pour lesquels on avait opté durant le tout dix-neuvième siècle. Bayard ouvre ainsi un long et grave cortège de figures choisies, véritable album de bandes dessinées de l'histoire du pays, qui ne se refermera qu'avec l'apparition des billets européens aussi laids qu'anonymes que nous manipulons dorénavant. Pourquoi Bayard ?  Sans peur et sans reproche : la devise, en pleine guerre de quatorze, a pu paraître de circonstance. On la dispose donc sur le billet, fractionnée en deux morceaux, sous chaque partie du médaillon. Gravé par Romagnol et imprimé à Lyon, sur papier du Marais, dès mars 1917, le nouveau 20 francs sera mis en circulation le 1er octobre de cette même année.

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Sur le verso du Bayard, un faucheur est  debout, en train d'aiguiser d’un geste leste la lame de sa faux. Sur la tête du faucheur un galurin assez large. Il est en bras de chemise, un fourreau à la ceinture, a l'air plein de santé, de fougue. A l’heure de l’angélus, on le croirait surgi d'un poème de Francis Jammes : France rurale, bonne France paysanne,  sans peur, non plus, et sans reproche, qui envoie au front des troupes, en veux-tu en voilà! Est-ce l’Angélus de l’aube ou celui du soir ? On ne le sait. Tout autour de lui, dans un camaïeu fort attrayant, la moisson est abondante, bleu et clair, le jour est prometteur. Les saisons vivent encore. On pense pourtant à ces quatrains de Péguy, le fils boursier du menuisier d’Orléans qui mourut en chevalier le 5 septembre 1914, fauché d’une balle au front à Villeroy,  22 km de Notre Dame de Paris :

 

 

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O peine seule épouse

Dans la maison

Peine seule jalouse

Seule en prison

 

Ton château sur la roche

Et ton donjon

Sans peur  et sans reproche

Et ton blason.

 

Avec le forgeron et le savant, le faucheur demeure un personnage éminemment emblématique, qu’on retrouve sur de nombreux billets. Ce billet de vingt francs, ne comprenant que deux couleurs typographiques sur chaque face en raison de la rapidité de sa  fabrication, se révélera à l’usage fort vulnérable : Huit falsifications seront recensées entre 1919 et 1927; le Bayard et son faucheur cessent donc d’être imprimés à partir de 1920, et sont retirés de la circulation en 1930. Le Bayard et son faucheur demeurent tous deux indissociés, telle une pièce de collection précautionneusement conservée dans de beaux albums en cuir, ceux qu'on montre aux invités dans la grand salle, non loin de l'âtre, en s'aidant d'une lampe tachée de quelques cacas de mouches, tandis que le vent bat la colline au-dehors  :

 

On fauchait au soleil où les herbes bougeaient

et le chien, timide et pauvre, par devoir aboyait.

La vie existait. Un paysan disait de gros mots

à une mendiante volant des haricots.

Les morceaux de fôret étaient des pierres noires.

Il sortait des jardins l'odeur tiède des poires.

La terre était pareille aux faucheuses de foin,

la cloche de l'église toussait au loin.

Et le ciel était bleu et blanc et, dans la paille,

on entendait se taire le vol lourd des cailles.

 

Francis Jammes – «Le soleil fasait luire » (De l’Angélus de l’aube à l'Angélus du soir – 1897)

07:05 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : billets français, bayard, littérature, francis jammes, charles péguy | | |