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vendredi, 11 août 2017

Les Vieux croyants (2)

Transfiguration (преображение) : tel est le nom du monastère, qui a donné son nom – comme c'est bien souvent le cas – au quartier tout entier. Un quartier riche en histoire politique et culturelle : des négociations diplomatiques secrètes entre Pierre le Grand et les ambassades occidentales ont commencé ici, ce qui a entraîné la signature d'une alliance entre la Russie , le Danemark, la Lituanie et la Pologne contre la Suède 22 novembre 1699 avant la bataille de Narva en 1700.

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En passant le porche de l'église à cinq tourelles qui cerne le monastère, je pense à cet épisode surnaturel chrétien à la vocation si universelle dont il tire son nom, sur lequel j’ai souvent médité, et qui réunit les apôtres et futurs saints du Nouveau Testament ( Pierre, Jean et Jacques) ainsi que les prophètes (Elie et Moise) de l’Ancien, autour du corps et du visage rayonnant du Christ. Je ne sais rien ou si peu de cette fracture qui déchira le monde orthodoxe si durablement et si profondément, comme d‘autres divisèrent le catholique, mais si quelque chose doit permettre à n’importe quel chrétien de comprendre n’importe quel autre, c’est bien, me dis-je, ce mystère-là. 

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A l’intérieur de l'enceinte, l’église Saint Nicolas, dont nous visitons tout d‘abord la partie libre d‘accès, à l’ouest du bâtiment, qui correspond à celle de l’Église orthodoxe officielle, et qui occupe l’ancien réfectoire avec un nouvel iconostase. Durant la période soviétique, l’ensemble du monastère a été fermé et la plupart des bâtiments transformés soit en une maison commune (auberge) soit en une usine de fabrication de radios. Aussi, la restauration est récente.

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Les vieux croyants occupent eux la partie est, située vers la ruelle Tokmakova, du côté  de l’ancien temple. L’entrée est fermée et nous devons demander à des habitants où trouver un gardien susceptible de nous ouvrir. On nous dirige finalement vers un bâtiment à un étage où nous sommes reçus par ce qui semble être un directeur, car on n’ordonne pas de prêtres chez les Vieux Croyants. Celui-ci, bientôt rejoints par deux acolytes, nous demande les raisons de notre visite : Hélène leur explique que je suis curieux de les connaitre, et je sens qu’ils me contemplent avec une prudente et bienveillante attention. Je leur explique que je ne vais en France qu'à la messe selon le rite extraordinaire antérieur à Vatican II ; ils me demandent de leur expliquer et brièvement, je leur explique qu’elle se lit en latin, selon le rite de saint Pie V, et le dos du prêtre tourné au peuple, le visage vers l’Orient. Ils me sourient et me disent que je suis donc un « vieux croyant catholique ». Le courant passe.

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Finalement, ils acceptent que nous visitions l’église, et tous se lèvent pour nous accompagner. Nous revoilà devant la même porte que tout à l’heure, avec cette fois ci une clé. Une femme plus âgée nous a rejoints, qui restera assise sur un banc et muette durant toute la visite, ainsi qu’un jeune homme en robe noire, qui commente la riche collection d‘icônes. On me demande de n’observer aucun rite propre au catholicisme à l’intérieur, comme un signe de croix ou une récitation de prière quelconque. Pourtant, en échangeant sur les scènes de l’Évangile, notre guide s’ouvre très vite et nous voilà en train de deviser avec enthousiasme sur le bon larron ou la reviviscence de Lazare. Il est visiblement réjoui de mon intérêt pour ce qu'il raconte. Je ressens à nouveau la dimension spirituelle de l’icône, qui est une méditation et un commentaire en soi, plus que l' illustration d’une scène de la vie du Christ, et qui peut vraiment tenir à ce titre du surnaturel. D'ailleurs, n'est-ce pas surnaturel ce qui nous arrive ? Au fur et à mesure de l’échange, je vois bien que rien ne nous sépare vraiment, sinon un héritage culturel sans doute divers : mais rien sur le plan véritablement christique. Là, le rayonnement d'un être ne provient pas de sa culture théologique ou de sa connaissance historique, mais de sa fréquentation réelle avec le Christ et de son humilité à se connaître pécheur.

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Derrière le monastère, dont l’autre moitié du terrain est devenue un marché, se trouve le cimetière Transfiguration, fondé en 1771 pour les vieux croyants lors de la grande peste de Moscou. À cette époque, le cimetière était situé à la périphérie de la ville, mais en dehors du territoire de Moscou. Beaucoup de personnalités des Vieux-Croyants, commerçants, militaires y furent inhumés. Ci-dessus, la chapelle restaurée du cimetière et ci-dessous, quelques tombes

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22:39 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : moscou, vieux croyants, transfiguration | | |

Commentaires

Le schisme des vieux-croyants fait suite à des réformes minimes mais brutalement imposées du patriarche Nikon au XVII° siècle, sans concile, et cela un siècle après le concile des Cent Chapitres qui avait redéfini toutes choses pour tout le monde. Nikon voulait aligner les Russes sur les usages des Grecs, par exemple le signe de croix avec trois doigts, qui était une innovation, alors que les Russes avaient conservé l'usage ancien de se signer avec deux doigts, du fait de leur éloignement géographique. La symbolique est exactement la même dans les deux variantes, la trinité et les deux natures du Christ, mais les Russes ont horreur des réformes, et celle-là ne s'imposait vraiment pas. A part cela, il y avait quelques modifications de formules liturgiques, corrections d'erreurs de copies, changements du vêtement liturgique, alors que les Russes avaient conservé l'habit ancien, du reste beaucoup plus beau. Cela a déclenché une résistance violente et provoqué une cassure tragique dans une société restée jusque là remarquablement organique. Cassure accentuée par l'occidentalisation autoritaire de Pierre le Grand, qui sépara la noblesse européanisée de force, du peuple resté fidèle à ses traditions. En cela résident déjà les prémisses de la révolution qui a utilisé ces failles.De plus, Pierre le Grand a complètement asservi l'Eglise. A la suite de tout cela, le chant liturgique a été abâtardi par les influences occidentales, qui ont introduit un style opéra italianisant qui détruisait le lien profond ancestral avec la musique antique à travers le chant byzantin, à l'origine de la tradition liturgique russe, et ses correspondances avec l'icône. Et enfin, l'art de l'icône a été lui-même complètement perdu, emporté par des peintures religieuses académiques réalistes qui n'étaient plus ni transparentes ni lisibles. En bref, et à mes yeux du moins, ce schisme fut une catastrophe et le grand péché de Nikon, du tsar Alexis et de son fils Pierre. Aujourd'hui, l'Eglise orthodoxe nikonienne s'est plutôt rapprochée des traditions qu'ont sauvées les vieux croyants, et permet leurs usages. Les vieux-croyants sont hélas devenus parfois excessivement ritualistes, et surtout, le mouvement s'est brisé en diverses sectes, éloignées de la religion antérieure au schisme. Mon voeu le plus cher est un rapprochement entre les vieux-croyants et les nikoniens. Les vieux-croyants ont permis la renaissance de l'iconographie traditionnelle dont ils avaient pieusement conservé les techniques et les canons. A ce sujet, je recommande la lecture de la "Théologie de l'icône" de Léonid Ouspenski.

Écrit par : Laurence Guillon | vendredi, 11 août 2017

Merci pour ces précisions, qui ne sont pas sans rappeler dans le monde catholique les conséquences désastreuses de Vatican II, avec d'un côté une église "moderne" servant les intérêts des réformateurs de tous crins, et de l'autre des traditionalistes qui ont le plus grand mal à ne pas éclater en de multiples sectes vindicatives. Le tout sous le regard puant des medias

Écrit par : solko | vendredi, 11 août 2017

Je me demande toujours pourquoi des personnes qui croient en un Dieu unique, le même, puisqu'il s'agit de chrétiens, en sont arrivées à créer tant de diversités et de points de discorde. Si tous les Chrétiens du monde étaient sur la même longueur d'onde, n'auraient-ils pas plus de force face aux musulmans ?

Écrit par : Julie | samedi, 12 août 2017

Les divisions commencent au pied de la Croix, entre ceux qui reconnaissent leur nature pécheresse ainsi que la charité du Christ (le bon larron) et ceux qui nient leur nature pécheresse et attendent de lui un exploit (le mauvais larron). Elles se perpétuent à travers ceux qui reconnaissent au Christ une divinité mais refusent la crucifixion au motif pseudo théologique que Dieu serait trop grand pour s'abaisser à racheter les hommes sur une croix (les Juifs nazaréens, qui deviendront plus tard les musulmans et leur fameux, ridicule et satanique "Allah akbar"),les Juifs qui reconnaissent la crucifixion (qu'ils ont eux-mêmes provoquée) mais pas la nature divine du Christ, et ceux qui commencent à méditer sur ce qui s'est passé autour des apôtres et à se convertir
Ensuite,les divisions qui se perpétuent sont plus d'origines politiques que religieuses me semble-il, car il s'agit, à partir de Constantin, de fixer le destin des empires et non plus celui des hommes dans leur singularité.
Ceci étant dit, l'argument qui consiste à dire que puisque le Dieu des Chrétiens est unique, ils devraient être unis, est un sophisme et un argument d'athée : regardez bien, en effet, d'où proviennent les divisions: du Sanhédrin, des divers sectateurs, des chefs politiques, des sceptiques et des athées, dont le Christ et la Charité qu'il incarne dérangent vivement les intérêts.
Le but n'est pas de lutter contre les musulmans, il y en aura hélas toujours pour nier la Croix, ni contre les athées, mais de se tourner vraiment vers ce Christ : Voilà pourquoi au-delà des divisions, tout chrétien sait où se trouve le vrai partage, entre bon et mauvais larron, pour faire court... C'est à chacun de nous de comprendre à quel point il accepte ou refuse ce mystère de la Rédemption. Pour conclure, la meilleure preuve que le Christ est bien le Messie, c'est bien, au contraire des apparences, le fait qu'Il divise tant (d'ailleurs Lui-même l'a ainsi expliqué, et tous ceux qui l'ont annoncé). Le sacrifice du Christ demeure exemplaire, et bizarrement, les discordes à son sujet révèlent les êtres et créent aussi, de manière plus complexe et plus vraie, de l'unité parmi les hommes.

Écrit par : solko | samedi, 12 août 2017

Comme d'habitude, vous voyez infiniment plus loin que moi, vois avez des connaissances que je suis bien loin d'avoir. Je me rends compte que mon raisonnement est simpliste, naïf, mais j'ai quand même comme un regret.

Écrit par : Julie | samedi, 12 août 2017

Il est parfaitement légitime ne regretter ainsi l'apparente désunion des Chrétiens du monde. Si l'on en comprend les raisons, on s'en remet vraiment au Christ. Il faut voir aussi que les musulmans sont encore bien plus divisés que nous, et qu'ils n'ont pas le Christ, eux...

Écrit par : solko | dimanche, 13 août 2017

Divisés, les musulmans, oui, et énormément. Les prétendus frères se combattent a mort.

Écrit par : Julie | dimanche, 13 août 2017

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