Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 05 février 2017

Le Pen et l'Année Terrible

On a beaucoup chanté la Marseillaise ce weekend à Lyon.  Le cul un peu pincé chez Macron, la main sur le cœur chez Mélenchon, et avec une fervente unanimité chez Le Pen, parce que sans doute on s’y est habitué depuis plus longtemps. Il suffisait de faire la queue parmi les militants du Front National à la Cité Internationale ce dimanche pour prendre le pouls d‘un tout autre public que celui de la veille chez Macron, moins riche, moins bobo, plus jovial, et sans aucun doute moins curieux de voir la bête et plus convaincu par elle. Marine Le Pen dispose, et c’est évident, d‘un parti structuré, avec cadres et militants regroupés autour d‘elle, n’en déplaise aux gens des Républicains ou du PS qui sont tous deux, pour des raisons diverses, menacés d‘implosion. Et ce parti, oui, est populaire, on le sent tout de suite, comme put l’être jadis le PC ou comme l’étaient les kermesses de mon enfance. Avant de passer les portiques de sécurité ici surréalistes, les gens entament la Marseillaise ; et ils n’ont pas des têtes de vieux militants, mais d‘hommes de la rue parfaitement anodins. La salle étant bondée, beaucoup suivront le discours en retransmission dans des salles adjacentes. Des couples. Des familles. Des jeunes gens.

« Notre existence en tant que peuple dépend de cette élection » lance très tôt Marine peu après son entrée en scène. Avec elle, on est loin du ton du grand oral à la Macron. Elle sait parler à une salle, être à son écoute, la laisser réagir, lui répondre. Sans doute ce que les journalistes nomment son populisme... Un réel talent, en tout cas.  Mais venons-en au fait. Au contenu.

Lorsque Marine Le Pen explique à son auditoire les liens qui unissent l’ultra libéralisme et le fondamentalisme islamique, elle devient brillante. L’un, dit-elle, se fonde sur l’individualisme, qu'il instaure dans la société au fil des ans. Il isole, restreint le champ des actions et des pensées. L’autre, qui vient après, se fonde sur le communautarisme. Les individus isolés des quartiers abandonnés se trouvent ainsi peu à peu défaits d‘une identité et livrés sans protection à une autre culture. C’est alors qu’ils devraient éprouver le sentiment de la nation, qui les protégerait. Mais on le leur a volé. On les en a dépossédé. Ils sont seuls, parmi d'autres communautés.  

Nul doute que les brillants ingénieurs et fils d‘ingénieurs venus applaudir hier Macron balaieraient d‘un revers de main cette démonstration qu’en réalité ils sont incapables de comprendre puisqu’elle ne leur a jamais été enseignée à l’école par de savants sociologues, et qu’ils ne savent somme toute que ce qu’ils ont appris à l’école.  Mais il suffit d‘avoir un jour habité Bron et d‘y être revenu récemment pour comprendre tous les enjeux qui se cachent derrière ce que la candidate rappelle à l’instant, ce sentiment collectif de dépossession du territoire que l’intelligentsia refuse de regarder en face, procès contre Zemmour après procès contre Le Pen. La preuve : Mélenchon, pendant ce temps, s’entretient avec son public dans le hall d‘Eurexpo comme un universitaire le ferait avec ses étudiants dans une fac délabrée. Il disserte, quand Marine raconte. Quand Macron et Mélenchon parlent aux classes aisées, Le Pen s’adresse aux classes populaires.  Et comme les classes populaires sont plus nombreuses que les classes aisées, l’élection risque de réserver des surprises.

Il me vient ensuite à l’esprit en écoutant Marine parler d‘elle en tant que femme et que femme française qu’une certaine complaisance à l’égard des femmes voilées dans les milieux de gauche puise peut-être son origine dans la crainte que la fille Le Pen inspire en leur sein. Et je me demande ce qui se serait passé si Jean Marie, au lieu d‘une fille, avait pu placer à la tête de son parti un héritier mâle, comme on disait jadis. En tout cas je suis frappé du fait que jamais, dans le discours médiatique, il n’est question d‘elle en tant que femme, comme dans le cas de Ségolène, Hillary, ou autres Angela. Comme si elle était un mutant. Et que cela représente une force, une particularité dans le paysage politique dont elle sait remarquablement jouer.  Sur ce point, le blondinet Macron peut retourner vaticiner à l’ENA !

Et lorsqu’elle lance à la salle : « vous avez le droit d‘aimer votre pays et de le montrer »,   je vois autour de moi beaucoup de gens humbles à qui ça fait du bien de reprendre en chœur le fameux  : « On est chez nous. » Et je mesure une fois de plus à quel point la gauche au pouvoir a failli, a trahi, et combien le ressentiment est épais dans les milieux populaires, et à quel point le divorce est consommé avec elle. Car tous ces gens, qui quittent sans doute bien moins souvent la France que les étudiants Erasmus fin lettrés de chez Macron, l’ont, bien plus qu’eux, chevillée au corps. La France ! Chez Macron, elle n’est qu’une idée depuis longtemps, et plus du tout un territoire.(1) Ici, elle est encore un territoire, et c’est ce qui donne aux Marseillaises un accent plus poignant.

De l’avocate ou du banquier, qui gagnera s’ils se retrouvent tous deux au second tour ? Sans doute le banquier. Le pays continuera alors à se déréaliser, comme dans la Carte et le Territoire de Houellebecq. A moins, se prend on à rêver, qu’un sursaut …  Marine Le Pen clôt son discours par une citation littéraire :  « Nous n’avons pas encore fini d’être Français ! ».  Macron citait Char, elle, Hugo, comme beaucoup l’ont déjà relevé. Mais peu ont trouvé significatif ce qui m’a pourtant sauté à l’oreille : la citation provient de L’Année Terrible. Terrible, 2017 est bien partie pour l’être, en effet…

(1)  Hollande lui-même, détournant stupidement une citation de de Gaulle, voulait s'il avait dû battre campagne, parler d'elle comme d'une idée...

 

Commentaires

C'est à tort de prétendre que Mélenchon s'adresse aux classes aisées. Il suffit d'aller observer les gens qui l'écoutent. Mais c'est sans doute la preuve que ses discours ont une réelle portée émancipatrice. Et oui l'intelligence populaire permet de nous confondre avec les classes aisées dès lors qu'un homme s'adresse à notre raison. Cependant vous avez raison sur un point, on ne raconte pas d'histoire à la France insoumise, on la fait. J'apprends en vous lisant que c'est désormais une mode de citer des auteurs chez les présidentiables. C'est une mode de gauche, une idée initiée par le seul que vous n'êtes pas allez voir. Cette fois il a chanté les Canuts, mais il aurait pu terminer ainsi : "Vivre en travaillant ou mourir en combattant." Mais les héritiers de ceux qui ont brodé ces mots en lettre rouges sur velours noir étaient rassemblés à côté de Bron et non dans le 6ème arrondissement.

Écrit par : lefaucheur | dimanche, 05 février 2017

Vous avez raison, Mélanchon parle avec sa raison. Le Pen aussi, d'ailleurs, mais pas de la même chose. Quant aux canuts, en tous cas ceux auxquels la chanson de Bruant qui n'était pas canut fait référence, ils n'ont rien à voir avec les "culs nus" folkloriques dont il est question, même si ils ont posé en termes dramatiques la question du travail artisanal et de son tarif dans le cadre de la révolution industrielle. Leur drapeau noir n'était pas un drapeau représentant l'anarchie, mais un drapeau de deuil. C'est en ce sens qu'on ne peut "idéologiser" les canuts en les tirant d'un côté ou de l'autre, ce que fit Bruant en son temps pour les besoins de son cabaret.

Écrit par : solko | dimanche, 05 février 2017

Stupéfiant.
Les canuts étaient des artisans. A leur compte.
Des petits patrons proies des gros patrons.
Leurs combats tenaient du CIDUNATI. Non du sieur Martinez.

Notre Dame des Pleurs chanta leurs larmes. Admirablement.
Mais elle ne savait rien d'eux.
Rien.

Il est donc, à la fac je présume, des gens qui entretiennent ces confusions.
Je leur accorde leur ignorance, que les générations entassent. Plus personne n'a conscience du bourrage de crâne dont il est victime. Et les victimes, à leur tour, y vont de leur couche.
Le demi-siècle est passé, qui ne me voit pas m'étonner de la nullité de l'Université.
C T B

Écrit par : Tamet de Bayle | lundi, 06 février 2017

"Marine" ....... Quelle tendresse, quel amour, proche de l'idolatrie. Que dire, sinon que je suis consternée.

Écrit par : Julie | mardi, 07 février 2017

Vous vous trompez. Dans la stratégie du FN,la mention du simple prénom revient à éliminer le nom génant du père Le Pen. D'ailleurs le "mouvement bleu marine" permet d'évacuer, lui, le nom "front national" Dans le genre culte de la personnalité, il y en a un qui fait fort, c'est Emmanuel Macron qui a discètement donné à son mouvement En Marche ses propres initiales. Je vous le dis, cette année sera l'année terrible.

Écrit par : solko | mardi, 07 février 2017

Il,y a quand même une notion très amicale à employer le prénom. De toute façon, cette voyante rupture avec le père n'en est pas une. Je n'éprouve pas la moindre estimé pour Macron, je n'ai jamais été aussi démotivée pour des élections que cette année, et ça, c'est terrible pour moi, en effet.

Écrit par : Julie | mercredi, 08 février 2017

Les commentaires sont fermés.