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jeudi, 06 août 2015

Roland, la Bête, le spectacle et Riga

C’est désormais partout les mêmes publicités, les mêmes événements, les mêmes débats, les mêmes résultats sportifs. Il suffit pour s’en rendre pleinement compte, armé de sa télécommande, de zapper sur un bouquet d’une chaîne du monde à une autre, d’Ouest en Est, de Sud en Nord, pour retrouver les mêmes couleurs, les mêmes génériques, les mêmes vêtements, les mêmes cadrages. Langues et visages varient, certes, mais ce sont bien les mêmes sourires figés, les mêmes regards vides, les mêmes expressions, les mêmes préoccupations, les mêmes infos et les mêmes produits. Glaçant.

Partout, également, ce même rapport marchand au passé, ce rapport distancié et « qui s’est éloigné dans une représentation » (1). En Europe, chaque capitale de région ne propose pas moins de dix ou quinze musées, et les cars de touristes vont de l’un à l’autre, selon la loi du Tour. Ainsi, quelle ne fut pas ma surprise, tout récemment, de découvrir au bord de la mer Baltique, en plein centre de Riga la statue du chevalier Roland, neveu de Charlemagne, dont j’appris par cœur jadis la première strophe de sa magnifique chanson de geste:

CARLES li reis, nostre emperere magnes,
Set anz tuz pleins ad estet en Espaigne :
Tresqu’en la mer cunquist la tere altaigne.
N’i ad castel ki devant lui remaigne ;
5Mur ne citet n’i est remés a fraindre,
Fors Sarraguce, ki est en une muntaigne.
Li reis Marsilie la tient, ki Deu nen aimet.
Mahumet sert e Apollin recleimet :
Nes poet guarder que mals ne l’i ateignet
(2)

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Statue du chevalier Roland, Riga

Riga en soi est une ville charmante qui, comme chaque capitale, possède son réseau de rues piétonnes, de parcs ombragés et de tramways rapides, ses rues pavées et ses places historiques, ses restaurants typiques, ses bâtiments post modernes et ses églises médiévales, ses bars de nuit et sa dégustation de produits locaux qu’elle vend selon les mêmes protocoles, son « plus grand marché d’Europe » et ses façades Art Nouveau réalisées par le père d’Eisenstein. Je ne dis pas que cela ne vaut pas le détour, d’autant plus que Riga se trouve à quelque 180 euros et 3 heures de vol de Paris, une broutille. Les amateurs de beauté balte y apprécieront le port limité du pantalon, la ligne encore svelte et les cheveux longs de la plupart des femmes de là-bas, qui semblent ne pas avoir subi le dressage idéologique de celles de la pauvre Dulce France de Roland. Il n’empêche.

« Toutes les nations, écrivit jadis saint Jean, ont été égarées par ses enchantements » (2)  Il parle des enchantements de la Bête dont la fureur s’est abattue sur le monde pour faire la guerre à l’Agneau. De là à conclure que la Bête de l’Apocalypse évoquée par l’Apôtre Jean, c’est le spectacle lui-même comme organisation capitaliste de l’économie mondialisée, asservissant les êtres à la standardisation la plus satanique, c’est évidemment rapide,  mais cela peut se révéler une juste intuition. En tout cas, rester vivant, à Riga comme ailleurs, c’est se tenir sauf des effets du spectacle comme de ceux de la Bête et, plus largement, des faux prophètes que son règne intransigeant voit partout proliférer pour la plus grande joie des marchands.

1. Parole célèbre de Guy Debord

2. Charles, le roi, notre empereur le Grand, sept ans tout pleins est resté en Espagne : jusqu’à la mer il a conquis la terre hautaine. Plus un château qui devant lui résiste, plus une muraille à forcer, plus une cité, hormis Saragosse, qui est dans une montagne. Le roi Marsile la tient, qui n’aime pas Dieu. C’est Mahomet qu’il sert, c’est Apollin qu’il prie. Il ne peut pas s’en empêcher : le malheur l’atteindra.

3. Apocalypse, XVIII,23

00:06 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : riga, saint-jean, apocalypse, la bête, patmos, communication, capitalisme, propagande | | |

Commentaires

Après l'Europe de l'Est, l'Europe du Nord... Et la Baltique, s'il vous plaît :)

Dans "Passages de l'Est" Carnets de voyages 1990-1991 (Gallimard, 1992), Danièle Sallenave écrivait, alors qu'elle était à Prague :
"Les amis étrangers que je rencontre ici, traducteurs établis pour plus longtemps que moi, y mènent forcément une vie quotidienne, voire une vie ordinaire. Il ne faudrait pas mener partout la vie ordinaire ; il ne faudrait la mener qu'en un seul lieu, la réservant pour cela. Et même, vivre "chez soi" comme en voyage, en perpétuelle situation d'étrangeté et d'attente ; pour cela, y penser à chaque heure et ne pas céder. Sauf dans un coin de son appartement : un vieux fauteuil et divan, ou dans sa chambre.
Les voyages ne devraient servir qu'à cela : non pas rendre familier ce qui est étranger, mais apprendre à maintenir étranger le familier le plus quotidien."

Malgré l'uniformisation des modes de vie en un quart de siècle, garder la tête sonnante de nos rêves.
Ne pas accepter que les hommes soient rendus à un ordre qui ressemble à celui de la nature, les jetant et les usant dans son pressoir...

Écrit par : Michèle | vendredi, 07 août 2015

"De passage à Riga" écriviez-vous dans un précédent billet. Avez-vous eu le temps d'y éprouver la brièveté de la nuit d'été, qui doit donner un caractère spécial aux journées...

Je me demande ce qui a résulté de leur présidence de l'Union européenne le premier semestre 2015. Que savent-ils de cette Union, eux qui ne paient que depuis un an et demi en euro leur baguette de seigle ?

Et la Maison des Têtes Noires face à la statue de Roland, récemment reconstruite d'après plans et gravures, quel effet produit-elle abritant un office du tourisme et un musée ?

Écrit par : Michèle | vendredi, 07 août 2015

En été, il y a peu de différence sensible à vrai dire avec la durée du jour d'ici. Quant à l'union européenne, à visiter le "musée de l'occupation", on se dit qu'elle aura toujours l'air idyllique pour un letton, comparée aux horreurs vécues du temps l'occupation nazie puis stalinienne où les uns et les autres semblèrent rivaliser en horreur. Quant à la maison des têtes noires, je n'y suis pas rentré. Une semaine, c'est court...

Écrit par : Solko | vendredi, 07 août 2015

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