samedi, 26 juillet 2014
Voyager (2)
Un jour, j’ai fini par détester l’avion. Ou plutôt, pour être très précis, les aéroports. Pendant une bonne décennie, j’ai fréquenté ces lieux plus que de coutume, assurément. Une certaine fascination - en grande partie fabriquée - à l'esprit. J’ai conservé pieusement de vieux passeports, sur lesquels trônent encore, comme des enluminures d’un autre siècle, d’anciens visas. Ma première prise de guerre date ! C’est un tampon négligé, vite fait, au terme d'une longue file d'attente avec la feuille d’érable de l’immigration Canada. Puis, à la page suivante, une autre rectangle massif, portant la signature de Donald E Wells, - et me revient cette ballade jusqu’à l’ambassade américaine de Lyon pour obtenir le sésame, et tout ce qui me trottait alors à la tête... Je retrouve avec émoi les tampons d’embarquement à Douvre, ce vieux ferry balourd aux odeurs de peinture et de pétrole, et les mouettes qui jappent par dessus le pont, et les douaniers Welcome, et le stop sur l’autre bord de la route, jusqu’à Edimbourg. L'année suivante, le nom d’un autre consul amerloque : les pays de la Liberté est le pays des larges signatures. Ils ne doivent plus ni l’un ni l’autre être de ce monde, ou bien vieillards grabataires et gâteux, la destination commune atteinte, ces dignitaires... Adieu Floride, adieu Californie, adieu Denver et Kansas City.
Un matin, nos passeports cessèrent d’être bleus. Sans jeu de mots, je continue à penser que nous avons perdu beaucoup au change dans l'entourloupe. République française, une ligne au-dessous de Communauté européenne… Le début des visas, non plus tamponnés, mais collés. De quelconques vignettes en gage d'une espèce de modernité démocratique, de conformité administrative. Et le visa perdit de son romantisme. Sauf en Inde, où se conservent toujours plus longtemps les bonnes manières. La protection des vaches sacrées, indolentes aux carrefours, sans doute. Allez savoir pourquoi la Cote d’Ivoire et ses vieux bus de la RATP chercha bien tôt à se donner un genre que le Bénin, avec ses chantiers soviétiques en jachères, ignora un plus long moment ? Vint la généralisation des miles à toutes les compagnies : la prime au plus fidèle. La resquille en troupeaux d'abonnés. La guerre des prix entre Air France et United Airlines. La capitalisation des miles ouvrit la porte à la capitalisation des voyages. Déjà du temps du hitchhicker, on était loin de Gérard, mais là…
J’ai fait de belles rencontres dans les avions...
Je me souviens des longs courriers, aux films d’action pour tenir en éveil chacun chacune. Et – lorsque le ministre Evin, pour entrer dans la grande histoire de la culture de masses, partit à la chasse aux cigarettes, je me souviens des grappes de fumeurs amassés au fond du cockpit, parlotant devant les chiottes... Et puis plus de fumeurs du tout... Le moment des escales, parfois cinq ou six heures, à moitié éveillé sur un siège inconfortable. Des lumières d'avions naviguant interminablement sur des pistes, tout ce que j’ai connu de la Roumanie de Ceauscescu…
Ce ne sont pas les avions, non, mais bel et bien les aéroports qui me sont devenus odieux. Déjà bien avant le 11 septembre, mais alors depuis… Quelque chose entre le poste de police, l’arrêt de bus, le supermarché et la plage bondée, bref… Tu seras bientôt numérisé, mon frère, digitalisé de la tête aux pieds... Ils étaient loin, les Dimanche à Orly, que chanta un jour avec talent Bécaud. L'avion était devenu comme l’ascenseur ou la salle de bains qu'évoque Bécaud. Alors, un peu comme j’ai cessé d’aller au cinéma, j’ai cessé de prendre l’avion, qui n'avait plus rien de l'oiseau de nuit... La cigale s’est embourgeoisée. Sédentarisée. Posée et reposée, en des latitudes plus intérieures : d’autres voyages, sans agents de sécurité ni systèmes de surveillances.
06:32 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : bécaud, aéroports, donald e wells, passeports bleus, voyages |
Commentaires
Vos deux derniers billets me rappellent qu'il faut que je visite un peu plus souvent ce blogue !
Je ne connais rien, ou presque, des aéroports, ni des avions. Ils ne me font pas envie. Trop rapides, trop bruyants, trop compliqués, trop polluants. M'enfin... ils sont aussi "trop" indispensables, et "trop" pratiques !
Quant à l'autostop, mieux vaut voir le verre à moitié plein pour tendre le pouce aujourd'hui !
Connaissez-vous Arsène Lupin ?
Au plaisir,
Benoit
Écrit par : Benoit | mercredi, 30 juillet 2014
Arsene Lupin, le gentleman cambrioleur ? Je ne connais que lui, nous etions l'autre soir dqns un pub a Varsovie...
Écrit par : solko | vendredi, 01 août 2014
Je n'ai pas beaucoup voyagé dans ma vie, pourtant déjà longue, j'ai pris l'avion pour la première fois à quarante neuf ans, pour aller en Egypte, cadeau pour notre trentième anniversaire de mariage. J'avais envie de voir l'Egypte depuis la classe de sixième.
Ensuite, pour aller voir notre fils qui a travaillé beaucoup à l'étranger, nous l'avons pris un peu plus. Curieusement, j'aime bien les aéroports, ce sont des endroits bizarres, hors du temps quotidien, on n'est pas tout à fait parti, et plus tout à fait là....C'est une sensation étrange, un peu angoissante, mais qui me plait encore.
Écrit par : Julie | samedi, 02 août 2014
Ah, je me disais bien que ce cher Lupin ne pouvait vous être inconnu ! Je l'ai rencontré, presque par hasard, il y a quelques mois... Depuis, je le fréquente assidûment (bien que je ne puisse jamais être sûr qu'il s'agisse bien de lui), cet homme est fascinant ! Je suis particulièrement captivé par l'éclat de son regard...
Écrit par : Benoit | lundi, 11 août 2014
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