Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 10 août 2013

Suivre sa pente

J’ai plusieurs fois commencé – il y a des années de cela – un récit de Gracq, mais jamais je n’ai pu aller jusqu’au bout. Peut-être que je tenterai une nouvelle fois le coup un jour, peut-être pas. Cet auteur est trop sec pour moi. J’ai dû avaler, jadis, En lisant en écrivant, qui est une mine pour les dissertations littéraires des concours d’enseignement, un peu comme Anatole France fut un pourvoyeur inépuisable de dictées, ou l’artificiel Arouet et ses médiocres contes à deux balles un fournisseur devant l’Eternel de pensées simples, pour bacheliers en culture de masses. Gracq lui, à l’étage au-dessus, livre des sujets de maîtrises et de doctorats depuis bientôt quarante ans, avec une même et généreuse abnégation.

En lisant en écrivant déborde de remarques de lectures où l’on sent l’avisé qui fait son devoir et prend sa pose. Je crois que Balzac a dû préférer Mme Hanska comme lecteur, que ce brave Julien qui ne peut s’empêcher d’être prof à chaque retour à la ligne. Mais je me souviens d’une remarque qui s’y trouve et qui m’avait frappé, parce que j’y entends plus une expérience d’écrivain, lorsque Gracq affirme qu’un roman doit suivre sa pente.

A moins que ce ne soit Gide (pour lequel je n’ai guère plus d’affection que Gracq). Il se peut que la remarque vienne du Journal d’Edouard, dans les Faux Monnayeurs. Sûr que c’est l’un ou l’autre, mais plus certain duquel. Flemme de rechercher. Pas grave. Ce billet n’est pas un cours et je suis en vacances, eh eh… Je demande donc au lecteur un peu d’indulgence pour ma mémoire encombrée.

Un roman doit suivre sa pente, c’est ça qui compte et je vous avouerai que c’est bien ça l’embêtant. Parce qu’il faut trancher dans le gras, tailler dans le vif, en jetant parfois à la poubelle des pages et des pages, voire en reconduisant dans les limbes dont ils sont sortis par mégarde ou par ennui certains personnages, des épisodes entiers auxquels on s’était attaché bêtement, bref, suivre la pente du roman, c’est contraignant. Mais il n’y a pas à tortiller, comme disait ma grand-mère, une petite voix vous fait entendre que là, non, c’est une autre pente, qui mène nulle part ou ailleurs…

Je suis donc en train de faire suivre sa pente au roman qui m’occupe depuis déjà février et qui sera, je l’espère, bouclé fin août. Drôle de vacances dans le passé  de mon pays et de moi-même, si si ! drôle de retraite et de retrait aussi, c’est une étrange ressource que l’écriture, qui vaut bien un été, croyez-moi. 

20:48 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (13) | | |

Commentaires

Ah je comprends bien ça. Ces moments d'écriture doivent être de sacrées plongées. Et il doit falloir une super organisation pour ne pas tomber fou, continuer à distinguer le jour de la nuit, et l'écriture de la vie :)

Écrit par : Michèle | dimanche, 11 août 2013

Tomber fou, oui. C'est comme tomber amoureux, quand ça vous est arrivé une fois, difficile de s'en passer. Mais la vraie difficulté, c'est vrai, c'est de rester organisé, à la fois mentalement et matériellement.
Je dois dire que l'ordinateur aide et nuit à la fois et qu'il faut rester habile.
Quand je pense à Proust et à ses paperolles, je ressens la même tendresse que devant le paysan et sa charrue. Le pouvoir que la technologie a placé entre nos mains est vertigineux, proprement effarant, à la fois dans le sens de l'hyper commodité comme dans celui de l'hyper aliénation. Nous profitons de ses avantages sans jamais mesurer les dégâts collatéraux. C'est là où une organisation de fer est indispensable.

Écrit par : solko | dimanche, 11 août 2013

Un billet que je comprends très fort... Quand on est sur cette pente là, oui, il faut parfois s'accrocher à la réalité de manière presque volontariste pour ne pas sombrer tout à fait dans le récit. Car on n'écrit pas seulement devant l'ordinateur, mais quand on fait les courses, quand on sort pisser, quand on conduit, quand on s'endort, quand on regarde les gens dans la rue. Le récit s'impose aux moments vécus du réel, brouille les cartes, pose un écran.
Ce sont malgré tout de bien délectables moments.
D'accord avec votre difficulté à lire Gracq. Quand à Proust, permettez-moi, avec un sourire, que c'est un mauvais exemple à suivre. L’évocation raffinée de ses réminiscences m'ennuie à mourir.
Pour ce qui est de ces personnages auxquels on s’attache et qui tout d'un coup, apparaissent superflus, hors du champ de vision du roman, hors sa pente, justement, bon sang, qu'est ce que j'ai pu en souffrir de les envoyer à la poubelle ! Non. J'en fais des brouillons.
Drôle de voyage, que celui de l'écriture !
Hâte de vous lire.

Écrit par : Bertrand | lundi, 12 août 2013

Merci Bertrand. Hâte aussi d'être lu ! Je profite à fond de cette période où rien d'autre ne me sollicite trop pour laisser s'écrire au mieux ce qui se raconte dans les moments réels, comme vous dites.
Pas de parasitages : je crois aux vertus de l'immersion.
Çà me fait une raison de plus de compter avec appréhension les jours qui nous sépare de cette foutue prochaine rentrée, où les parasitages, je leur fais confiance, ne manqueront pas!

Écrit par : solko | lundi, 12 août 2013

Pour ma part, depuis La Semaine Sainte d'Aragon, je n'ai rien lu qui me tienne en haleine.

Écrit par : Jérémie | lundi, 12 août 2013

Quelle que soit l'intention de Jérémie avec son commentaire :) -peut-être en dira-t-il davantage -, il est intéressant d'entendre Aragon, un an après la sortie du roman :

http://www.rts.ch/archives/radio/information/miroir-du-monde/3280301-louis-aragon-26-02-1959.html

Écrit par : Michèle | mercredi, 14 août 2013

Merci Michèle. J'ai écouté avec attention la vidéo que vous postez en lien : tout est dit ! Re-merci !!
Par mon commentaire, je ne voulais pas dire que rien de mieux n'avait été écrit depuis, mais que je n'ai rien trouvé de si grand ; je peux me tromper.
Ce roman est vraiment époustouflant par son écriture, ses personnages, des descriptions. Je me souviens notamment des divagations du héros sur son cheval, à moitié endormi.

Écrit par : Jérémie S. | mercredi, 14 août 2013

Oui, Jérémie, le soldat Géricault qui ne croit plus à rien, et surtout pas à la cause qu'il est censé défendre. C'est quand même derrière un roi qui se débine que ces soldats marchent...

Ce roman d'Aragon sort en pleine période du "Nouveau roman". (La modification de Butor, L'ère du soupçon de Sarraute).
La Route des Flandres (la débâcle de 40) de Claude Simon, ce sera deux ans plus tard, en 1960.

Comme le rappelle F. Taillandier dans son "Aragon (1897 - 1982) Quel est celui qu'on prend pour moi ?", Aragon était un travailleur acharné (comme Solko :). Pour écrire La Semaine Sainte il accumula une documentation gigantesque, voulant connaître l'étoffe de chaque uniforme, le moindre hameau traversé, l'état des routes, le temps qu'il faisait...

Ce qui me plaît dans le roman c'est que c'est un genre protéiforme, un art sans rivages, qu'en prédisant sa mort on a créé les conditions de sa survie, et ce qu'écrira Solko (ou plutôt Roland Thévenet :) ne ressemblera à rien d'autre car chaque romancier a un univers sensible, irréductible.

Écrit par : Michèle | jeudi, 15 août 2013

Quand je dis Ce qui me plaît dans le roman, je veux dire dans le genre romanesque...

Écrit par : Michèle | jeudi, 15 août 2013

Bonsoir Roland,

Je vous souhaite de laisser votre récit suivre sa pente, l'expression n'est pas malheureuse.

Bonne non rentrée à vous, puisque de cela qui vous inspirait l'an passé (ou plus loin) un fort beau billet, vous voilà à présent dispensé...

A bientôt

Écrit par : Tanguy | lundi, 19 août 2013

Dispensé ? ça me plairait bien, nom d'un gueux !

Écrit par : solko | mardi, 20 août 2013

Je crois que l'écriture peut se comparer au travail d'un artisan horloger doublé d'un cinéaste.Chaque mot doit trouver sa place ou être remisé, aussi joli soit il! Le plaisir de faire un bon mot, de placer une belle formule doit être contenu , à moins bien sur que ce soit là l'objet du roman...L'humour comme la poésie jaillissent là où on ne les attend pas. Plus précisément quand le recul nécessaire à l'auteur est suffisamment grand pour qu'il puisse prendre le risque de ce rapprocher de l'incendie qu'il tente d'allumer....Écrire consiste à tourner autour d'un vide , c'est une activité laborieuse de vacance mais elle évite de tomber au fond du trou et permet d'en sortir en ayant nager en apnée dans des abîmes sans fond .

Écrit par : patrick verroust | mardi, 20 août 2013

BIRTHDAY PRESENT

L'écriture est une ligne
Dont la courbe épouse les reliefs
Qui parsèment la plaine
De leur ombre impertinente

L'écriture laisse transparaître
L'énergie qui la meut
Pour celui dont l'épure
Est le schéma directeur

Peu importe le sujet
Encore moins son objet
Le style est affaire d'armement
A cela se reconnait le dén(o)uement

Écrit par : gmc | vendredi, 23 août 2013

Les commentaires sont fermés.