samedi, 11 février 2012
L'Astrée techno
Il y a loin du vocabulaire amoureux contemporain aux jeux galants qui avaient cours du temps d'Honré d'Urfé, né par temps frisquet d'un 11 février de l'an 1567. Avec les bergers de l'Astrée, nous voici en Gaule, au Vème siècle de notre ère, dans cette partie de la plaine du Forez qu’arrosent les eaux limpides du Lignon : « Auprès de l’ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il y a un pays nommé Forez qui en sa petitesse contient ce qui est de plus rare au reste des Gaules… » Ainsi débute le roman inachevé d’Honoré d’Urfé, dont les douze premiers livres parurent en 1607, tandis qu’autour du bon roi Henri IV, triomphait la mode des pastorales. En 1610, l’année de Ravaillac, est éditée la seconde partie. Sur ce lien, le texte mis en ligne par Paris Sorbonne.
Se replonger quelques instants dans les aventures d'Astrée et de Céladon, c’est une bonne façon de couper court aux intrigues médiatiques contemporaines et de rompre avec l'à peu près linguistique qui nous sert de langue nationale et de langage amoureux. Imaginons par exemple une traduction en français contemporain de cette phrase, piochée au hasard; c'est Silvandre, s'adressant à Diane : «Ma maîtresse, ne plaignez point la peine que vous avez prise de venir jusques ici; car encore que vous vous soyez un peu détournée, toutefois vous verrez une merveille de ces bois.»
Lire l'Astrée en 2012, c'est tout à la fois probablement s'aventurer en une terra incognita fort périlleuse, s'adonner à une véritable ascèse de l'esprit, et prendre le risque d'une perplexité sans fond. Je m'y étais frotté il y a bien longtemps, lorsque j'étudiais La Nouvelle Héloise de Rousseau. Les années 80 épousaient le déclin et la somnolence d'un président pharaonnique et malade, et le quartier latin n'avait déjà, (de latin), que le nom. Bref, le siècle précédent s'effilochait dans l'ignorance des amours entre bergers et bergères, dans le mépris des ruisseaux et des nymphes, et dans l'oubli des pastorales d'Henri IV. Aussi, ce croustillant feuilleté de culture savante m'avait-il déjà passablement ennuyé, n'étant moi-même plus capable de surprendre l'écho d'un roman national dans le tissu du roman sentimental (comme la préface de je ne sais plus quel universitaire m'y invitait). Quel musicien audacieux serait à présent capable de mettre en musique ce sonnet de l'Astrée en pur langage françois ? Sur un fond techno qui rendrait les paroles inaudibles, il n'est pas dit après tout qu'un certain goût de l'époque pour le frivole et le décalé ne lui assurerait pas un petit succès...
Mon Dieu quel est le mal dont je suis tourmenté ?
Depuis que je la vis ceste Cleon si belle,
J'ay senty dans le cœur une douleur nouvelle,
Encores que larron son œil me l'ait osté.
Depuis d'un chaud desir je me sens agité,
Si toutefois desir, tel mouvement s'appelle,
De qui le jugement tellement s'ensorcelle,
Qu'il joint à son dessein ma propre volonté.
De ce commencement mon mal a pris naissance,
Car depuis le desir accreut sa violence,
Et soudain loing de moy le repos s'envola.
Au lieu de ce repos nâquit l'inquietude,
Qui serve du desir bastit ma servitude :
Voila quel est mon mal, mais mon Dieu qu'est cela ?
Tapisserie représentant Astrée et Céladon au bord du Lignon (Bastie d'Urfé)
09:55 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : l'astrée, honoré d'urfé, littérature, henri iv, pastorales |
Commentaires
Retrouver l'essentiel par les chemins de l'Astrée... :0)
Écrit par : Sophie K. | samedi, 11 février 2012
"Se replonger quelques instants dans les aventures d'Astrée et de Céladon, c’est une bonne façon de couper court aux intrigues médiatiques contemporaines et de rompre avec l'à peu près linguistique qui nous sert de langue nationale et de langage amoureux."
C'est tellement vrai. Je n'ai pas lu l'Astré. Mais c'est vrai qu'il est bon de se replonger dans d'excellentes littératures pour oublier toutes les horreurs du langage journalistiques. Moi, j'aime relire des passages des Mémoires d'Hadrien.
Écrit par : Jérémie | dimanche, 12 février 2012
Sur ce terrain-là, l'antidote le plus puissant que je connaisse est encore Chateaubriand.
Écrit par : solko | lundi, 13 février 2012
C'est vrai. J'ai lu une partie de ses Mémoires, la sélection des passages concernant Napoléon et le Premier Empire. C'est du très beau français ! En revanche, j'ai peur de m'ennuyer en lisant le reste (?)...
Écrit par : Jérémie | lundi, 13 février 2012
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