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jeudi, 29 décembre 2011

La plaisante sagesse lyonnaise

La nécessaire édification des lyonnais : tel est le but revendiqué en sa préface par Catherin Bugnard, académicien des Pierres Plantées et auteur, de La plaisante sagesse lyonnaise, derrière lequel se cache Justin Godard

Les fragments de La plaisante sagesse lyonnaise ne diffèrent en rien de ces recueils de maximes de n’importe quelle province, où une résignation qu’on appelle bon sens devient peu à peu une forme de soumission qu’on trouve plaisante pour décliner sur le mode de l’universelle persuasion les aléas conjoncturels d’une simple condition, qu’elle fut paysanne ou ouvrière. On y trouve donc des proverbes, sans doute réellement entendus, d’autres plus ou moins manigancés. Ce qui distingue la Lyonnaise des autres, c’est la revendication simultanée et permanente à un métier et à un quartier, le tisseur et la Croix-Rousse. C'est pourquoi les maximes de la plaisante sagesse lyonnaise se répertorient facilement autour de quelques thèmes: 


Les mortes saisons, tout d’abord, si récurrentes dans l’existence d’un canut, qu’elles feraient de l’espoir en l’épargne bourgeoise l’un des piliers absolus de sa sagesse :

- «Ce qui donne le plus de peine, c’est d’avoir rien à faire. » ;

- « Mange pas tout ce que tu gagnes durant que te le gagnes, si tu veux avoir de quoi manger quand te gagneras plus. » ;

- «Si tu veux avoir de l’argent devant toi, faut le mettre de côté. » ;

- « La première argent gagnée est celle qu’on ne dépense pas. » ;  

- « Faut remplir sa cenpote avant que de prendre soif » ;

- « L’argent est plat, c’est pour qu’on l’empile. ».


Le rêve de propriété ensuite. C'est ce rêve qui justifie l’effort fourni ; dans ces maximes, il croise souvent le regret de ne pouvoir travailler pour soi :

- « Nul ne fait si bien la besogne que celui à qui elle est » ;

- « Il n’y a rien de tel que d’être obligé d’y faire pour y faire » ; 

- « Faut pas faire le besogne pour qu’elle soye faite ; faut la faire pour la faire. »


- Le marchand fabricant dont on se dit, pour se consoler, qu’on sera un jour égal à lui, devant la mort qui tout égalise :

- « Ne lui demande rien ; il a mal à la main qui donne » ;

- « Va pas rien croire que le juste milieu est le milieu juste » ;

- « Qui se ruine à promettre s’enrichit à ne pas tenir. » ;

- « Vois-tu, bien des fois qu’arrive que, malgré ses sous, un homme riche ne soye quand même qu’un pauvre homme. » ;

- « On ramasse pas des argents à regonfle sans les tirer de la poche de quelqu’un. » ; - « Le fabricant mange quand il a faim, le canut quand il a pain. » ;

- « Quand on te mènera à Loyasse, t’auras beau avoir ramassé tant et plus et même davantage, te n’emporteras que ce que t’auras donné. » (Loyasse est un cimetière de Lyon)


La misère ou la  précarité, selon les périodes de chômage ou de prospérité :

- « Qui ne peut faire avec le trop fasse avec le peu. » ;

- « Pauvreté n’est pas vice, mais c’est bien plus pire. » ;

- « Le temps vous dure plus à attendre la soupe qu’à la manger. » ;

- « Vaut mieux prendre chaud en mangeant que froid en travaillant. » ;

- « C’est au moment de payer les pots qu’on sent qu’on n’a plus soif. » ;

- « Vaut mieux un métier qu’une femme.»


- L’endurance ( seule façon de ne pas désespérer ?) :

- « Pleure tant que te voudras, te finiras bien par te moucher. » ;

- « Il sait assez, celui ne sait, s’il sait se taire. » ;

- « Fais ce que tu fais ; t’occupe pas du reste. » ;

- « Les vrais bons gones, c’est ceux qu’ont des défauts qui ne font tort qu’à eux. » ;

- « Ca qui est, est. Manquablement, c’est temps perdu d’y faire contre ». 

- « Y’a pas de pays au monde où on s’en voye autant que sur cette pauvre terre. »


-L’inégalité des conditions, un constat récurrent :

- « Avec tout le bonheur qui se petafine dans le monde, que d’heureux on pourrait faire ! » ;

- « Quand tout un chacun fait ce qu’il peut, personne se crève.» ;

- « Nous autres, pauvres canuts, nous pouvons pas nous payer le médecin ; alors nous mourrons nous-mêmes. »   

 

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Ce florilège ironique et désenchanté se donne à lire comme le témoignage sans candeur d’une servitude résignée à la loi de la Fabrique, transmise telle un dogme et intériorisée dès le berceau : « T’es pas content de la vie ? Réfléchis voir un peu et te trouveras que c’est toi le fautif ». La Fabrique et sa dure loi y résonnent comme une allégorie universelle et baroque du monde lui-même. On songe à quelque cauchemar carcéral. La terrible lucidité du verdict est sans appel : « Entre les bêtes et les gens, y a ben souvent que le baptême qui  fait la différence ». Ou bien : « Je me pense que si, sur cette terre, une fois d’hasard, c’étaient ceux d’en haut qui soyent en bas, et ceux d’en bas qui soyent en haut, et ben le monde serait quasiment pareil. » : Ni en l’Eglise, ni en la Révolution, ne demeure un lieu où placer l’espérance. Sinon en la ville elle-même. Comment décliner plus amèrement la vieille formule de Plaute, que décidément, l’homme est un loup pour l’homme ?


 

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Justin Godart, auteur de la Plaisante Sagesse lyonnaisevisitant les hôpitaux du front (juillet - septembre 1917). 

Ministère de la culture - Médiathèque du patrimoine 

00:01 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : justin godart, plaisante sagesse lyonnaise, lyon, société | | |

Commentaires

C'était cela que je cherchais, le cimetière Loyasse (dont il est question aussi ailleurs chez Solko, je trouverai où :)

http://lesruesdelyon.hautetfort.com/archive/2009/11/21/2be4639d39408605697b75c9e8021efd.html


Chacune de ces formules désenchantée est une perle, je reste sur la dernière recensée :
« Je me pense que si, sur cette terre, une fois d’hasard, c’étaient ceux d’en haut qui soyent en bas, et ceux d’en bas qui soyent en haut, et ben le monde serait quasiment pareil. »

Écrit par : Michèle | jeudi, 29 décembre 2011

Ah voilà aussi un des mes petits livres de chevet, si plein d'humour. Merci d'en révéler l'auteur, je me suis toujours doutée que Catherin Bugnard était un pseudo. D'ailleurs, son humour me rappelle beaucoup celui de Samivel.
La maxime qui reste ma préférée : "Dans tout cuchon de monde, que ce soye à la Chambre ou à la vogue, il y a toujours plus de pieds que de cervelles".

Écrit par : Sophie K. | jeudi, 29 décembre 2011

Tu sais que le pied de cochon ça se mange bien assaisonné, comme la cervelle d'agneau...

Écrit par : solko | jeudi, 29 décembre 2011

(Je ne suis pas arrière-petite-fille et petite-fille et nièce de Lyonnais pour rien, non mais.) :oD

Écrit par : Sophie K. | jeudi, 29 décembre 2011

Ces dictons révélateurs de l'intériorisation des situations de dominés
résonnent d('une ironie grinçante. Les lieux communs, en litanie,font apparaître un théâtre aux métaphores éprouvées.

Marseille, cité marchande a le dit-on facile: "Je peux mourir, tranquille, on ne me doit rien"

Écrit par : patrick verroust | jeudi, 29 décembre 2011

Je songe en vous lisant qu'on pourrait les mettre en scène. Les dire, et même les jouer...

Écrit par : solko | vendredi, 30 décembre 2011

Solko:

Je crois aussi à une possible mise en scène.

Écrit par : patrick verroust | vendredi, 30 décembre 2011

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