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vendredi, 23 décembre 2011

La nuance Puitspelu

D’où vient qu’à la fin du XIXème siècle, tant de grammairiens, érudits, philologues, s’intéressèrent avec passion à la langue, que ce soit le sanskrit, le sodgien ou le patois que parlaient leurs aïeux ? Et d’où vient qu’aujourd’hui, la plupart d'entre eux se soucient comme d'une guigne de la façon dont ils s’expriment, de combien ils se rendent compréhensibles à autrui ? C’est la question que je me posais à la relecture des quelques lignes d’un bon Lyonnais de ce temps-là, Clair Tisseur alias Nizier du Puitspelu. Un petit traité de style,  que voici :

« Nombre de ces bonnes gens s’imaginent que pour écrire en lyonnais, il suffit de ne pas savoir le français. C’est peut-être une erreur. Il m’est avis, au rebours, que, pour écrire parfaitement  bien le lyonnais, il serait nécessaire de savoir d’abord le lyonnais, puis beaucoup le français, et non seulement le français d’aujourd’hui, mais encore celui d’hier et celui d’avant-hier. Il faut, en effet, opérer dans son esprit comme dans un van un tri entre les expressions anciennes, saines, correctes, françaises dans les moelles, et ces expressions nouvelles, viciées, incorrectes, bâtardes, semblables à des parasites et qui auraient recouvert et à demi détruit notre vieux jardin national. On ne se figure pas combien il est difficile, en écrivant, de se garder de l’argot moderne, qui est comme engrangé dans votre peau par tous les livres, toutes les revues, tous les journaux que vous lisez, que vous ne pouvez pas même vous dispensez de lire, si vous ne voulez ressembler à Saint Siméon-Stylite sur sa colonne. C’est à ce point que je connais un quelqu’un qui s’est imposé la tâche de lire, chaque jour, au moins quelques pages des vieux auteurs, afin de ne pas se laisser envahir par l’habitude du patois, je veux dire par la langue des auteurs contemporains.

Mais  ce parler franc de bouche, qui a retenu tant de vieilles expressions de nos aïeux, ne consiste pas seulement dans l’usage d’un certain vocabulaire. Bien plus que dans le vocabulaire, le génie d’une langue gît dans le tour, dans la construction de la phrase. Il ne faut pas tomber dans l’erreur de nos pères du temps de la Restauration qui croyaient fermement ressusciter la poésie du Moyen Age en semant le discours des mots de jouvencelle, bachelette, destrier, palefroi, et quelques autres de ce genre. Sans prétendre à écrire la langue du XVIè ou même du XVIIè siècle, ce qui serait absurde, il est nécessaire que des mots un peu vieillis soient enveloppés dans des tournures appropriées sans quoi ils feraient une disparate dans le tissu du style. On doit fondre, lier tout cela, pardon pour l’image, comme une habile cuisinière une fricassée de poulet dans une sauce onctueuse. Il importe de ne pas non plus  aller trop loin dans la voie de l’archaïsme (comme cela se dit aujourd’hui) sous peine de cesser d’être compris et de tomber dans le baroque. Enfin, quoi ! tout cela, c’est affaire de nuance, dirait M. Renan. »                                                                     

Les Oisivetés du sieur Puitspelu, « Le bon parler lyonnais, pp 262 / 263 »,  1889

Commentaires

Au gré de la toile :
Vers 1890, les capitaux investissent dans le pétrole à Bakou (Azerbaidjan), et doivent par conséquent ramener la stabilité dans un contexte politiquement explosif.
Or, la dominations intellectuelle et financière des chrétiens arméniens dans la région n'est "pas bonne pour les affaires".
On monte alors à travers les loges, à Salonique et Paris, le mouvement des "Jeunes Turcs", qui permettra d'abattre l'Empire Ottoman, de se débarasser des Arméniens, d'obtenir la Palestine, et accessoirement l'hégémonie sur le Moyen-Orient.
Pour mémoire, les grands-parents maternels de Nicolas Sarkozy sont respectivement de Lyon (Mlle Bouvier) et de Salonique (M. Mallah).
Sinon, plus concret, GL Events estime qu’il va "perdre dans les jours à venir le contrat du palais des congrès d’Ankara".
Simple, mais douloureux.

Écrit par : Jean | samedi, 24 décembre 2011

"Bien plus que dans le vocabulaire, le génie d’une langue gît dans le tour, dans la construction de la phrase."

C'est en effet la structure qui introduit la légèreté et le jeu indispensables pour se faire entendre. C'est dans la forme que se décryptent les intentions de sens. Car il n'y a en nous que de l'ambivalent, du confus, de l'inconnu et sans colonne vertébrale (ces artifices qui s'apprennent, s'enrichissent, évoluent par le travail de l'écriture) la langue ne serait qu'à-peu-près, grognements plus ou moins développés :)

Quant au langage lyonnais, je regardais ce qu'en disait Pétrus Sambardier (p.83 de "La vie à Lyon de 1900 à 1937") :
Il dit que "le langage canut tel que le parle Guignol s'est développé au 18e siècle par l'emploi de mots d'argot local, de termes de métier, et de mots du vrai patois lyonnais, qui se parlait encore couramment dans la ville.(...)"
Sambardier souligne la position juste de l'artiste lyonnais Gerald qui, en portant à la scène, vers la fin du 19e s., "le type lyonnais de Battandier, ne le fait pas parler comme on (nous) dit que devait parler un canut de 1810, mais en employant le simple langage du moment, en usage dans les ateliers, au café, en tramway, dans les services des magasins de soieries et aux jeux de boules."
C'est-à-dire en présentant un personnage qui se rencontrait chaque jour.

J'extrapole à l'occitan qu'il est de bon ton de faire apprendre aujourd'hui dans les calandrètes, aux petits enfants de la bourgeoisie moyenne : c'est une langue qu'on n'entend plus que dans ces lieux, créant un entre-soi, ce qui est ma foi peut-être l'objectif recherché.

Écrit par : Michèle | dimanche, 25 décembre 2011

Et pour raccorder avec l'autre branche de notre Illustre, évoquons Ármin Vámbéry, hongrois converti à l'Islam (à quatre reprises), agent double, triple... proche des ottomans, et qui en 1901 promet à Theodor Herzl de lui "négocier" une audience avec le sultan Abdülhamid II :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ármin_Vámbéry

Écrit par : Jean | jeudi, 29 décembre 2011

J'ai retrouvé ceci chez Marcel Rivière :)

http://lesruesdelyon.hautetfort.com/archive/2009/09/15/litterature-lyonnaise-clair-tisseur-nizier-du-puitspelu-acad.html

Écrit par : Michèle | jeudi, 29 décembre 2011

Je m'aperçois que mes deux commentaires viennent pour chacun sous des commentaires qui ont pris une autre voie que celle de Nizier du Puitspelu.
Cela produit un effet que je n'ai pas recherché.

Écrit par : Michèle | jeudi, 29 décembre 2011

@ Jean : C'est vrai, quel rapport avec le contenu du billet ?

@ Michèle ; Vous en saurez bientôt beaucoup sur la question que le plus lyonnais des gones!

Écrit par : solko | jeudi, 29 décembre 2011

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