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vendredi, 18 septembre 2009

Mademoiselle de Maupin

Mademoiselle de Maupin ? Qui connait, qui a lu ?

Pour ma part,  j’avoue que je n’ai jamais même tenter d’entrer dans le tissu de ce roman, même si (GF Flammarion n° 102)  il est là, sur un rayon de ma bibliothèque. En quatrième de couverture, cet avis de Baudelaire : « Avec Mademoiselle de Maupin, apparaissait dans la littérature le Dilettantisme qui, par son caractère exquis et superlatif, est toujours la meilleure preuve des facultés indispensables en art. Ce roman, ce conte, ce tableau, cette rêverie continuée avec l’obstination d’un peintre, cette espèce d’hymne à la Beauté, avait surtout ce grand résultat d’établir définitivement la condition génératrice des œuvres d’art, c'est-à-dire l’amour exclusif du Beau, l’Idée fixe »  Bon.

Il y a cependant un extrait de la préface de Mademoiselle de Maupin que j’aime tout particulièrement, que je connais bien, que j’ai souvent expliqué en cours à des élèves. Etonnant, ces quelques lignes d’une préface d’un roman jamais lu, qui traîne néanmoins dans beaucoup de manuels scolaires, ilôt flottant, savoir morcelé…

Et comme il se peut (c’est un moment de l’année, l’automne débutant, propice à l’étude de ce type de textes) que je le ressorte – comme on dit – cette année encore, je me suis dit ce soir que, si j’avais du courage, et malgré ce paragraphe peu engageant de Baudelaire, j’essaierai de lire le roman, histoire quand même de....

En attendant, voici cet extrait de la préface, magnifique page d’anthologie :

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Il y a deux sortes d’utilité, et le sens de ce vocable n’est jamais que relatif. Ce qui est utile pour l’un ne l’est pas pour l’autre. Vous êtes savetier, je suis poète. - Il est utile pour moi que mon premier vers rime avec mon second. - Un dictionnaire de rimes m’est d’une grande utilité ; vous n’en avez que faire pour carreler une vieille paire de bottes, et il est juste de dire qu’un tranchet ne me servirait pas à grand-chose pour faire une ode. - Après cela, vous objecterez qu’un savetier est bien au-dessus d’un poète, et que l’on se passe mieux de l’un que de l’autre. Sans prétendre rabaisser l’illustre profession de savetier, que j’honore à l’égal de la profession de monarque constitutionnel, j’avouerai humblement que j’aimerais mieux avoir mon soulier décousu que mon vers mal rimé, et que je me passerais plus volontiers de bottes que de poèmes. Ne sortant presque jamais et marchant plus habilement par la tête que par les pieds, j’use moins de chaussures qu’un républicain vertueux qui ne fait que courir d’un ministère à l’autre pour se faire jeter quelque place. Je sais qu’il y en a qui préfèrent les moulins aux églises, et le pain du corps à celui de l’âme. A ceux-là, je n’ai rien à leur dire. Ils méritent d’être économistes dans ce monde, et aussi dans l’autre.

Y a-t-il quelque chose d’absolument utile sur cette terre et dans cette vie où nous sommes ? D’abord, il est très peu utile que nous soyons sur terre et que nous vivions. Je défie le plus savant de la bande de dire à quoi nous servons, si ce n’est à ne pas nous abonner au Constitutionnel ni à aucune espèce de journal quelconque. Ensuite, l’utilité de notre existence admise a priori, quelles sont les choses réellement utiles pour la soutenir ? De la soupe et un morceau de viande deux fois par jour, c’est tout ce qu’il faut pour se remplir le ventre, dans la stricte acception du mot. L’homme, à qui un cercueil de deux pieds de large sur six de long suffit et au-delà après sa mort, n’a pas besoin dans sa vie de beaucoup plus de place. Un cube creux de sept à huit pieds dans tous les sens, avec un trou pour respirer, une seule alvéole de la ruche, il n’en faut pas plus pour le loger et empêcher qu’il ne lui pleuve sur le dos. Une couverture, roulée convenablement autour du corps, le défendra aussi bien et mieux contre le froid que le frac de Staub le plus élégant et le mieux coupé. Avec cela, il pourra subsister à la lettre. On dit bien qu’on peut vivre avec 25 sous par jour ; mais s’empêcher de mourir, ce n’est pas vivre ; et je ne vois pas en quoi une ville organisée utilitairement serait plus agréable à habiter que le Père-la-Chaise.

Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. - On supprimerait les fleurs, le monde n’en souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant qu’il n’y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu’aux roses, et je crois qu’il n’y a qu’un utilitaire au monde capable d’arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux.

À quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu’une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes. À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ?

Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. - L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines.

Théophile GAUTIER, Mademoiselle de Maupin (1835), « Préface ».

14:42 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : mademoiselle de maupin, théophile gautier, esthétique, beauté, art pour l'art | | |

Commentaires

Je ne connaissais* pas "Mademoiselle de Maupin", je vous remercie pour cette préface: elle est toujours d'actualité.

Je vais en retenir une phrase:" mais s’empêcher de mourir, ce n’est pas vivre; et je ne vois pas en quoi une ville organisée utilitairement serait plus agréable à habiter que le Père-la-Chaise."

Et je suis d'accord avec la conclusion car lorsque vous avez connu une maison avec un trou au fond du jardin et parfois rien, vous avez compris l'utilité de la chose.

* je commence beaucoup de commentaires avec " Je ne connaissais pas "...

Écrit par : La Zélie | vendredi, 18 septembre 2009

C'est parce que vous êtes modeste et honnête, La Zélie...Il y a plein de choses que, tous et toutes, nous ne connaissons pas.

Je n'ai pas lu la Maupin, pas plus que les autres fumisteries de Théophile Gautier. Si, j'ai lu la cafetière et j'en suis resté là.
Vous allez dire que je suis partial avec cet écrivain, mi-peintre, mi-critique, mi bouc, mi-mondain...Oui, je suis partial parce que c'était un salaud et je n'ai jamais pu lui pardonner ses vomissements de dandy et d'intellectuel castré sur le peuple de Paris, femmes, enfants et vieillards, écrasé par Thiers et les Versaillais.
C'est une mémoire salie.
Je suis partial, c'est vrai...Peut-être qu'un jour, je reviendrai à de meilleurs sentiments. Après tout, je lis bien Céline et Aragon...
D'ailleurs, comme vous Solko, je trouve cette préface, géniale...
Amitié

Écrit par : Bertrand | vendredi, 18 septembre 2009

Th. Gautier est bon dans ses récits fantastiques. Pour le reste, j'ai lu "Emaux et camées", un recueil de poésie qui est sans doute un exploit technique en lui-même par la manière dont les vers sont ciselés, mais qui ne dégage aucune chaleur ni aucun sentiment. C'est froid comme le marbre d'un tombeau.

Écrit par : Feuilly | vendredi, 18 septembre 2009

@ Zélie : Oui, toujours d'actualité, et même prémonitoire, quand on songe aux chambres d'hôtel japonaises d'un mètre de plafond de haut ("un cube creux", "une alvéole de la ruche"), à certains exemplaires du prêt à porter contemporain qu'on trouve en boutiques (une couverture roulée autour du corps) ainsi qu' à tout ce que la société industrielle a produit comme merveilles pour réjouir nos sens.
@ Feuilly et Bertrand :
Oui, nous en sommes donc au même point devant cet auteur, ni sa poésie ni ses contes fantastiques ne m'ayant jamais emballé non plus. J'ai mis mon nez dans "Mademoiselle de Maupin" hier soir, et n'ai pas trop eu envie de poursuivre.
PS : Aragon et Céline... J'aime bien l'humour de cet attelage. Cela dit, même si je n'apprécie pas plus que ça Aragon auteur, c'est sans doute meilleur (ou plus récent, donc plus abordable) que cet académique Théophile...

Écrit par : solko | vendredi, 18 septembre 2009

Après vos écrits, la préface me suffit je continuerais à ne pas connaitre l'œuvre de cet auteur.
Le temps est court pour lire tout ce que l'on veut.

Écrit par : La Zélie | vendredi, 18 septembre 2009

Superbe préface !
Je ne connaissais pas du tout non plus (sauf la première phrase du dernier paragraphe qui fait partie de nos citations préférées avec quelques amis sorbonnards) mais elle est à faire lire à tous ceux qui nous demandent "pourquoi la littérature", même s'ils n'y verront rien d'autre qu'encore une folie.

Écrit par : Zabou | samedi, 19 septembre 2009

Du dandy-made au ready-made il n'y qu'un pas... Marcel Duchamp en contre chant... tout conte...

Écrit par : laurence | samedi, 19 septembre 2009

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