dimanche, 12 juillet 2009
La savonnette de juillet
Ce que je connais le mieux d’elle, c’est la fente qui sépare chacun de ses orteils. Entre l’un, entre l’autre, je vais, je viens tandis qu’elle me balade. Du premier coup d’œil, je reconnais chaque interstice où je séjourne, je sais la cavité molle de chacun. Je lèche avec ardeur leurs mauvaises odeurs, jusqu’à l’extinction totale de chacune.
C’est elle qui m’a choisie. Je sentais, roucoula-t-elle, le camélia. D’elle, pourtant, excepté ses orteils, je n’ai jamais touché autre chose que la jolie menotte avec laquelle elle se saisit de moi, afin de me faire mousser contre un gant. L’hommage qu’à son beau corps je voudrais rendre, je ne peux l’entreprendre qu’à distance, fière lorsqu’un peu de ma mousse se distribue sur ses formes qu’elle modèle inlassablement, triste que ce lointain contact n’engage jamais tout mon être à moi, qu’elle rejette à chaque fois sur le bord de la baignoire, avec une délicatesse que rend plus cruelle encore son indifférence.
Ce peu de moi qu’elle étale lestement contre sa peau, qu’il lui soit le plus caressant ! le plus proche de ces bains d’autrefois qu’enfant, elle prenait, lorsqu’une simple bulle de savon crevée dans un rai de lumière, les yeux tout grand ouverts, l’émerveillait ; ou qu’un bibelot en plastique qu’elle faisait aller parmi des monts mousseux flottants comme des cygnes, faisait coin-coin. J’essaie bien. Mais quelle, parmi mes tentatives quotidiennes, pourrait briser l'héraldique mépris qu’elle manifeste à mon égard ? Mon corps se durcit et par endroit se creuse. Je ne connais que ses orteils et la paume de sa main.
Pourtant, que j’eusse aimé glisser longtemps le long de ses jolis seins roses, ronds et fermes, sur la contrée de ses reins et tout le long de ses fines longues jambes, qu’elle déploie hors du liquide, qu’elle masse avec lenteur avec le tissu du gant sur lequel je m’évapore ! Que j’eusse moi-même aimé me répandre sur le bas-ventre qu’elle a juste un peu dodu, que j’eusse aimé fourré ses lèvres, me perdre en sa brune et bouclée toison, dénichant moi-même la trace des secrétions qui s’y nichent. Experte, comme je le suis devenue de ses orteils, je le serais de son sexe bombé : Le bouton vif sur lequel parfois ses doigts s’attardent, le lustrer de tout mon corps ! De rien, elle ne se doute. Comment pourrait-elle entendre l’humble regret qu’un peu de ma mousse chuchote à sa peau tandis que l’eau chasse ce peu, encore et encore, vers l’égout ?
Quelles pensées sont donc les siennes, tandis qu’elle me dépose, encore baveuse de la friction que je viens de subir, sur le reposoir en inox ? Il m’est venu quelques gerçures, craquelant d’un bout à l’autre de ma longueur toute la sécheresse de ma silhouette. Dans ce monde étranger et sale qu’elle explore, tout, pourtant, la menace. Ce peu de camélia que de moi, chaque matin, elle emporte, ce peu de moi en chaque pore de sa peau, empreinte furtive que j’ai su graver en elle et dont, pas plus que l’air qu’elle respire, elle ne se soucie vraiment, j’aimerais qu’il la protège, un peu à la manière d’une combinaison en matière isolante. Tout : elle accumule en une journée de bureau tant de saloperies sur sa jolie peau : Ce n’est même plus un monde sale, c’est un monde dégueulasse et puant, infect, foutu, mortel, oui, c’est cela. S’en doute-t-elle ? Mortel à un point qu’elle ne peut soupçonner. Si la propreté qu’elle trouve à mon contact pouvait, à l’image de sa beauté, ne pas mourir…
Mais tout passe : voilà que mon parfum même, d’un matin à un autre, de ma surface de plus en plus restreinte, s’estompe, imperceptiblement. A l’évidence, il me faut m’en convaincre : Le tissu du gant rouge sur lequel elle éparpille à présent le maigre reliquat de moi-même, tel un voile jusqu’à la fin, d’elle, me sépare : je n’étreindrai jamais toute ma dame.
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13:58 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : littérature, nouvelles et textes brefs, savonnette, fine amor, juillet |
Commentaires
Faire penser une savonnette d'une façon légèrement érotique, sensuelle, écologique............
J'espère que pendant vos vacances vous allez nous donner d'autres textes aussi originaux.
Si j'avais encore ma petite boutique où je vendais le WK mes
savonnettes au lait d'ânesse etc.... je l'aurais affiché (avec votre permission bien sûr).
Écrit par : La Zélie | dimanche, 12 juillet 2009
Tel la peau du même nom ... une savonnette de chagrin ? que le vent de septembre emportera ?
C'est distillé, c'est magnifique. Merci à vous.
Écrit par : Frasby | dimanche, 12 juillet 2009
Écrit par : Sophie L.L | lundi, 13 juillet 2009
Écrit par : Camay | lundi, 13 juillet 2009
Imaginez...
Puis j'ai regardé le titre et j'ai compris qu'il s'agissait d'une savonnette!
Je poursuis ma lecture lentement, ma respiration s'emballe.
Je me dis, attendons la fin du texte pour voir l'auteur.
Point d'auteur cité. C'est donc vous Solko qui m'avez "emballé"!
Je ne pourrai plus tenir une savonnette sans penser à ce texte, caressant.
Superbe.
Écrit par : Ambre | lundi, 13 juillet 2009
Ah, je vous aurais avec plaisir laissé afficher ma petite nouvelle au-dessus d'un panier empli.
Écrit par : solko | mardi, 14 juillet 2009
Quel est le bel esprit qui a dit "qu'il fallait toujours suivre sa pente mais en montant ?" Me demande si c'est pas l'Edouard de Gide dans "les Faux Monnayeurs" ?
En tout cas, avec la savonnette, c'est mieux en descendant.
Écrit par : solko | mardi, 14 juillet 2009
Bienvenue sur ce blog. Mais je vois que vous maniez déjà le charmillon à merveille ...
Écrit par : solko | mardi, 14 juillet 2009
Eh oui, il y a des gens comme Christo qui emballent des ponts, d'autres comme Solko qui emballent les lectrices !
Écrit par : solko | mardi, 14 juillet 2009
Me plairait de lire un feuilleton cet été, ( une histoire vécue evidemment !) dont vous seriez le héros, ça s'appelerait
"Solko passe une vasonnette au pont Romand". Chiche ?
Je veux bien me sacrifier pour aller prendre tout cela en photo.
Écrit par : frasby | mardi, 14 juillet 2009
C'est quio le charmillon, au juste ?
Écrit par : Camay | mardi, 14 juillet 2009
Je suis intéressée moi aussi pour savoir ce qu'est le charmillon, bien que je me doute que j'en ai pas beaucoup.
Saviez-vous que Camay était une marque de savonnette? Je ne sais si elle existe encore car je ne vais jamais plus dans le rayon cosmétiques, parfumerie et hygiène des GMS
Écrit par : La Zélie | mardi, 14 juillet 2009
Un collèguant spécialiste du Moyen Age, m'a parlé aussi d'une variante de rigaudon qui se dansait sur les marchés et s'appelle "le Marchillon", mais aucun autre document n'est disponilbe à ce sujet. On trouve aussi sur le net un Eusèbe Marchillon qui est un hibou : http://yeodi.skynetblogs.be/post/7099386/sur-un-mur-du-grand-salon.
Sinon oui ! je sais depuis peu que Camay est une savonnette, c'est d'ailleurs en cherchant "savonnette française" sur Google que je suis tombée par hasard ici. Pardonnez moi, mais que sont les SMG ? Je suis anglaise, il y a des pions de votre langue qui m'échappent. Je reviendrai lire ici demain avec plaisance. Merci à vous.
Écrit par : Camay | mercredi, 15 juillet 2009
SMG: j'ai inversé les lettres, MGS = moyennes et grandes surfaces de commerce tel carrefour, intermarché, centre Leclerc etc...
Écrit par : La Zélie | mercredi, 15 juillet 2009
On emballerait aussi tous les gens qui sont dedans aussi , à l'heure que passe la rame de métro ? Tout cela sous l'oeil narquois de la dame à la fontaine ?
Et vous prendriez tout ça en photo ?
Cela en ferait, des jolis billets...
Écrit par : solko | mercredi, 15 juillet 2009
Tous ces documents sont vermeilleusement verrensants.
@ Zélie : Mais je vois que vous vous êtes familiarisée avec le charmillon ! MGS, SMG, GMS, au fond, ce ne sont que des grandes surfaces, rien à voir avec les petites boutiques romantiques que nous aimons.
Écrit par : solko | mercredi, 15 juillet 2009
Écrit par : frasby | jeudi, 16 juillet 2009
Écrit par : frasby | jeudi, 16 juillet 2009
Écrit par : solko | vendredi, 17 juillet 2009
Mais que se passe-t-il Solko ?
C'est la vasonnette de juillet, vous met dans cet état de grâce ménager ?
Quelqu'un m'a dit que vous aviez des envies de savonnage en ce moment qui s'étendent bigrement.
Un reproche tout de même. Il manque les patins à l'étrene.
Peut être sont ils dans le visalesier du vason ?
(du lason, drapon ;-)))
Écrit par : frasby | vendredi, 17 juillet 2009
Écrit par : Michèle | dimanche, 19 juillet 2009
Écrit par : solko | lundi, 20 juillet 2009
Alors ce "Gardien d'amphithéâtre" nous est encore plus cher.
Écrit par : Michèle | lundi, 20 juillet 2009
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