mercredi, 19 novembre 2008
Il y a vie monastique et vie monastique
En 1683, l'abbé Armand-Jean de Rancé, de l'abbaye cistercienne de la Trappe, dans l'Orne, publie un recueil de conférences spirituelles intitulé De la sainteté et des devoirs de la vie monastique. Rancé est un converti. Sa conception de la vie monastique est radicale : recherche d'un absolu détachement du monde, vie pénitente, quêtes de l'extase. La notoriété du personnage, l'attraction qu'il exerce à la fois dans les ordres et dans le siècle, donnent à sa parole un grand retentissement. Rancé y prône pour les moines un retranchement des études : la qualité du personnage exige une réponse à sa hauteur; c'est dom Mabillon qui s'en chargera avec le Traité des Etudes monastiques, publié dix ans plus tard et récapitulant dix ans de polémique entre le plus exalté, le plus intolérant, et le plus modéré des hommes (c'est Sainte-Marthe qui le dit)
Polémiquer pendant dix ans à coups de missives et de dissertations sur la nécessité ou non de laisser aux solitaires le soin d'entreprendre des études et de lire toutes sortes de livres - sacrés et profanes - voilà une des choses qui fit la dimension rhétorique du Grand Siècle finissant. Car le débat fut rude et foisonnant Voici quelques lignes de l'introduction de Mabillon où, sans le nommer, il attaque Rancé tout en présentant le plan de son ouvrage :
« S'il est difficile, pour ne pas dire impossible, que toutes les communautés monastiques soient dans ce haut degré de perfection que l'on admire avec raison dans cette sainte abbaye (1), ou supposé même qu'elles y fussent, si l'on ne peut que très rarement trouver, sans le secours des études, des supérieurs qui aient la capacité et toutes les lumières nécessaires pour les gouverner et les soutenir dans cette perfection sublime, peut-être trouvera-t-on qu'en ce cas, qui est assurément le plus ordinaire, les études sont nécessaires, tant pour pouvoir fournir aux communautés des supérieurs capables que pour donner aux solitaires assez de connaissance pour y suppléer en quelque façon lorsque ce secours leur viendra à manquer; qu'autrement les communautés tomberaient infailliblement dans l'abattement, dans le relâchement et même dans l'erreur, faute de capacité dans les inférieurs, et dans les supérieurs mêmes. Je ne croirai donc pas manquer au respect que l'on doit à ce serviteur de Dieu si j'examine tout ceci dans ce traité que je diviserai en trois parties : Dans la première, je ferai voir que les études, bien loin d'être absolument contraires à l'état monastique, sont en quelque façon nécessaire pour la conservation des communautés religieuses. Dans la seconde, j'examinerai quelles sortes d'étude peuvent convenir aux solitaires, et de quelle méthode ils se peuvent servir pour s'en rendre capables. (2) Enfin dans la troisième quelles sont les fins qu'ils se doivent employer pour se les rendre utiles et avantageuses. Peut-être que ce dessein ne sera pas tout à fait inutile au public. Mais en tous cas j'espère que tel qu'il est, il sera de quelque utilité pour mes confrères, en faveur desquels il a été principalement entrepris et composé. »
Voilà. N'est ce pas que c'est plus intéressant que les articles du Monde ? Ou bien que le récit journalistique des cent premiers jours de la présidence de Roosevelt en 1933, en passe de devenir le succès éditorial de cet automne américain ?
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(1) Il parle bien sûr de La Trappe
(2) La partie sans doute la plus intéressante. Mabillon y préconise des méthodes de travail pour les moines plus ou moins ignorants désirant entreprendre de se cultiver (rythme de lecture, constitutions de recueils de citations, récitation et recopiage...)
20:09 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : la trappe, rancé, dom mabillon, vie monastique |
Commentaires
Ce qui est particulièrement intéressant et touchant je trouve, c'est dans ce mouvement de la polémique entre eux, comment Rancé s'emballe, monte sur ses grands chevaux, puis regrette ensuite ses emportements, sa colère retombe, il s'en veut d'avoir polémiqué, il voudrait se taire. Et puis paf il a à nouveau envie de préciser quelque chose, ah je trouve ça génial!
Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 19 novembre 2008
En ce temps là, on avait l'outre cuidance de croire que le silence avait autant de signification que la parole, voire plus, et d'affirmer que chaque être, recelant quelque esprit, pouvait à ce titre prétendre à une nourriture. Il est vrai aussi qu'on ne s'était jamais encore posé la question pour le moins problématique du nombre.
Écrit par : solko | mercredi, 19 novembre 2008
Le silence? Vous croyez que ça a vraiment existé? C'est des histoires, tout ça...
Écrit par : Pascal Adam | jeudi, 20 novembre 2008
@ Pascal : Le silence ? Une histoire ? Pourquoi pas.
Racontée par un imbécile à des idiots, et qui ne signfie rien.
Écrit par : solko | jeudi, 20 novembre 2008
Merci pour cet excellenbt article, qui m'a permis de préciser mes connaissances, justement, sur Rancé. Maïmonide au Moyen Age estimait de son côté que seuls les érudits ou du moins les instruits auraient part au royaume de Dieu. Ceux qui ont méprisé l'étude sont toujours ceux qui pouvaient se le permettre, c'est-à-dire ceux qui avaient étudié...
Écrit par : collignon | samedi, 22 novembre 2008
@ Collignon : Merci de votre commentaire. Ceux qui ont le temps de s'arrêter peuvent aller lire quelques articles du Singe vert...
Écrit par : solko | samedi, 22 novembre 2008
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