jeudi, 06 novembre 2008
La fabrique du héros électoral
Ségolène en madone des déshérités, Sarko en justicier des banlieues, Betancourt en miraculée de Lourdes, Obama en sauveur des minorités : sous la poussée du grand vent de la démesure, les médias n'en peuvent plus de fabriquer des héros. L'élection, censée favoriser dans une démocratie mure le temps du débat, est devenue le moment où se manufacture une nouvelle autorité médiatique. Le processus, purement rhétorique, n'est pas nouveau : Rabelais et ses Géants l'a initié, à l'aube des Temps Modernes, avec de simples mots, figures de style et lieux communs. Sauf que Gargantua et Pantagruel, clairement définis comme personnages fabuleux, évoluent dans l'univers exubérant de la fiction clairement définie, revendiquée par leur auteur. Ces héros électoraux, confectionnés par les medias à partir d'images tirées du monde réel, ressemblent de plus en plus, eux, à ces héros que le cinéma nous propose en parallèle, eux aussi tirés de la réalité de façon schématique et rapide : W en névrosé, une classe de quatrième en emblème des quartiers difficiles, les médecins d'Urgences... L'écran (et non plus le livre) est la demeure symbolique dans laquelle ces figures hâtives rencontrent notre imaginaire, le sourire et le signe de la main, fugitifs, leur seul alphabet autorisé, le seul signe de complicité admis entre nous : ce qui est stupéfiant, c'est que cela fonctionne. Le candidat élu et sa satisfaction ressemblent de plus en plus au footballeur qui a passé un tour : l'un regagne son vestiaire, l'autre son bureau, jusqu'à la prochaine compétition. Fasciné par l'exploit, le public va se coucher. No comment. Si, tout de même :
Le point commun entre tous ces héros n'est pas seulement d'être dotés de qualificatifs, tous plus fabuleux les uns que les autres - voir comment, de la Madone au Messie, tout le lexique du religieux y passe - devant des adeptes transcendés par la contemplation de leurs idoles-; ils doivent aussi être dotés, non plus d'une naissance merveilleuse (on se souvient que Gargantua était sorti de façon dérisoire de l'oreille de sa mère), mais de la naissance et de l'origine les plus communes possibles. Il faut, pour que le résidu de mythe démocratique (ou du rêve américain) fonctionne -appelez ça comme vous voulez- que la matrice du peuple l'ait enfanté. Car le peuple, aliéné dans la pratique par ce système, est aussi souverain en théorie dans ce système : ne l'oublions pas. En une clameur monstrueuse qui fait de lui un simple public, ses applaudissements bien réglés et ses yeux brillants enfantent sur un plateau télé tout autant une Ségolène qu'un Nicolas, un John qu'un Barack. Aussitôt ces braves gens, complaisants avec leur notoriété comme n'importe quelle star, deviennent vite des prénoms, qu'on consomme à grands coups de slogans ou de produits dérivés, sur des badges ou des écharpes. La main qui zappe est donc aussi la main qui vote : terrible loi qu'on intériorise en famille, dès la prime adolescence, en regardant la Star'Ac ou en répondant à des sondages d'opinion bidons.
Effrayant ? Même pas. Stupéfiant, plutôt. Cela porte un nom : le divertissement. « Un roi sans divertissement disait Giono (reprenant Pascal) est un homme plein de misères ». Emplis de misères, le sommes-nous ? Pas trop, depuis que nous sommes emplis de divertissements. Méfions-nous cependant : la réalité est là, à la porte de nos écrans, si j'ose dire. Rabelais affirmait, à propos d'une affaire de mariage : « Si les signes vous fâchent, combien vous fâcheront les choses signifiées ». Tous ces héros électoraux qui sortent de l'enthousiasme des urnes et se reproduisent sur des écrans ne me disent vraiment rien qui vaille. Car si les signes nous trompent, combien nous tromperont les choses signifiées ?
08:40 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (34) | Tags : élection d'obama, star-système |
Commentaires
France-Infos nous a gratifiés d'une semaine américaine ...
Si ce n'est pas de la propagande, cela y ressemble fort !
Nous croulons sous les commentaires comme chaque fois qu'il est nécessaire de nous mettre sous les yeux un bel arbre qui cache la forêt. Les banquiers américains étant responsables de la crise mondiale (une fois de plus) il fallait donc précipiter un Super-Héros-Américain dans l'autre plateau de la balance afin que les pauvres floués ne perdent pas patience. L'artifice est tellement évident que dès ce matin on entend que les Bourses sont à nouveau à la baisse.
Le match n'est même pas suivi de prolongations mais les caquetages journalistiques eux, vont bon train et sous ce flot de paroles, on ne se rend même plus compte qu'ils disent n'importe quoi.
Écrit par : simone. | jeudi, 06 novembre 2008
@ Simone : Si, si... On s'en rend compte...
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
La TV, je ne la regarde presque plus. La radio, je ne l'allume que de temps en temps. De temps en temps, j'achète un journal. Jamais du même bord ni du même propriétaire. Tandis que vous devenez misanthrope, je m'apprête à devenir autiste : est-ce mieux ?
Écrit par : Marcel Rivière | jeudi, 06 novembre 2008
C'est un moindre mal.
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
Puisque vous le dites.
Je suis donc un roi sans divertissement.
Écrit par : Marcel Rivière | jeudi, 06 novembre 2008
Un homme plein de misère ?
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
Allez savoir !
Écrit par : Marcel Rivière | jeudi, 06 novembre 2008
Je nourris une infinie tendresse pour Alceste, c'est mon Don Quichotte à moi. Oui, il y a vraiment des moments (de plus en plus fréquents) où l'on voudrait découvrir la dernière île déserte mais je crains fort que nous ne soyons plus capables d'y vivre même en ayant pris la précaution d'emporter avec soi quelques bons ouvrages ... Qui peut encore se vanter de pouvoir se passer de presque tout ?
J'ai beau m'insurger contre ces besoins artificiels (internet n'est pas le dernier) le piège s'est refermé depuis longtemps. Tiens, tiens, Marcel Rivière et moi avons les mêmes moeurs en matière de lecture journalistique bien qu'échapper au même propriétaire relève déjà de l'exploit !
Ce faisant, nous troquons l'uniformité pour l'expression excessive ... Notre indépendance d'esprit doit-elle nous condamner à faire le grand écart de l'Huma ou du Monde Libertaire à Rivarol ? Cela prouve bien qu'il y a un grand vide entre les deux.
Écrit par : simone. | jeudi, 06 novembre 2008
@ Simone : On ne peut nourrir pour Alceste qu'une infinie tendresse. Il est la part la plus secrète, la plus intime et la plus inviolable de chacun d'entre nous. C'est pourquoi chercher à le socialiser dès la crèche relève de l'infamie.
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
Rabelais, que je vénère, s'est battu contre une institution de son temps qui à sa manère pratiquait du lavage de cerveau à savoir la Sorbonne.
Je trouve qu'il y a d'ailleurs beaucoup d'analogies entre cette période et notre époque.
Pour l'homme du Moyen-Âge, un monde s'effondrait, un monde disparaissait.
Le monde rassurant bordé par la la Foi religieuse.
Grandes découvertes (notre Internet ?)
remise en cause de l'Église
sans doute chez certains beaucoup de désespoir et de pessimisme.
Les Humanistes ont su accompagner le changement
aller du côté de l'espoir et de la nouveauté.
Je sais que vous allez me répondre que c'était différent et facile pour eux.
Non ! pas plus que pour nous aujourd'hui.
Condamner, et se limiter à un constat pessimiste c'est nous condamner tous au désespoir et à la disparition.
Je n'ai aucune vocation pour la désespérance.
Sachons faire notre Renaissance.
Au fait, à votre liste du début, vous pouvez ajouter le Dalaï-Lama.
Écrit par : Rosa | jeudi, 06 novembre 2008
Ce monde, avec sa religiosité médiatique, est atroce, c'est entendu; mais il est aussi à se tordre de rire. Rabelais, Jarry, Aristophane...
Écrit par : Pascal Adam | jeudi, 06 novembre 2008
@ Rosa : Facile pour eux ? Je ne le dirais certainement pas, car je n'ai aucun moyen de le savoir. Je dis simplement que Rabelais établissait une frontière claire entre ce qui relevait de la fiction et ce qui releveait de la réalité dans la constitution de ses personnages et de ses contes. La simplification et la confusion dans lesquelles nous jettent les productions médiatiques ne font plus cette distinction. C'est tout ce que je dis. Sans trop savoir où cela mène le monde : un nouvel obscurantisme, c'est certain.
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
@ Pascal : C'est à se tordre rire aussi, je suis d'accord avec vous.
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
Oui, fol engouement superficiel pour les dates... pour ces jours "historiques"... (alors que ne sont plus enseignées les dates en classe)...pour tous ces "plus rien ne sera jamais comme avant"...(tu parles!)...pour ce calendrier permanent d'"événements" (l'éclipse, la coupe du monde de foot, les JO,la libération de Betancourt, la mort du pape...) comme un planning de vitrines des galeries lafayette, ...mais quand même nous sommes quelques uns à observer cela, désolés. Et je pense réellement que nous sommes plus que quelques uns.
Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 06 novembre 2008
@ Sophie : Bien sûr que nous sommes plus que quelques uns. Apparemment, cependant, pas une majorité...
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
@ Solko: exact, c'est la réponse dont la réalité imparable fait mal!
Écrit par : Sophie L.L | jeudi, 06 novembre 2008
@ Sophie : Mal ? Pas nécessairement.
Si nous n'avons pas tout à fait tort, et que nous sommes suffisamment nombreux pour se tenir chaud. Et puis, il y a les auteurs.
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
De mémoire, dans les premières phrases de Debord, la société du spectacle :
" Tout ce qui était directement vécu, s'est éloigné en images"
Et ça s'éloigne de plus en plus.
Votre texte est d'une intelligence qui rassure, tout de même.
En France, on a vu les élections présidentielles tournées soudain au spectacle des érections présidentielles..Alors, moi je dis que c'est pas mal de toucher le fond. Plus grand risque de tomber plus bas, n'est-ce pas ?
Écrit par : B.redonnet | jeudi, 06 novembre 2008
Et alors ????
On va vers l'obscurantisme...
No future : c'est pas d'aujourd'hui.
Que faut-il faire ? Se jeter dans la Saône ( que je choisirais de préférence au Rhône).
Émigrer ?
Où ?
continuer de spéculer intellectuellement ?
Pour qui pour quoi ? et pourquoi
Se lamenter ? Pleurer ? se morfondre ?regretter le passé ? Quel passé ?
Se saoûler : une bonne cuite pour oublier, voilà qui me convient
de préférence au Côte du Rhône.
Tiens cette fois le Rhône.
Se gaver de chocolat : c'est la saison.
Mettre des cierges dans les églises : là je choisis la cathédrale de Saint-Jean.
Réciter des chapelets comme ma mère. Pitié ! Plutôt la Saône.
Dynamiter la télé et Le Monde tant qu'à faire.
qui se charge des explosifs ?
Assassiner les hommes politiques ? Comment ? couteau ? revolver ?
J'ai pas dit les femmes :)
Finalement je reste sur cette proposition, continuera qui voudra...
Écrit par : Rosa | jeudi, 06 novembre 2008
@ Rosa : Mais pourquoi voulez-vous qu'une réflexion débouche nécessairement sur une action ? Je constate l'obscurantisme dans lequel les médias plongent une partie de la population; j'essaie, par l'analyse et la réflexion de m'en tenir à l'écart - par le rire et la dérision aussi - je n'irai pas me jeter dans le Rhône pour autant, mais je ne vois pas de solutions toutes faites. Car les gens qui créent cela disposent évidemment de moyens que ni vous ni moi n'avons. Je déplore la simplification des débats, la radicalisation bipolaire des partis, la peopolisation des candidats (quel terme !), la fanatisation des électorats, je vois la stupidité de nombreuses productions, la veulerie de beaucoup de pseudos ou pseudotes (car je mets les femmes dans le même lot) leaders, artistes, penseurs ou sportifs qui tiennent la dragée haute au monde, je n'aime pas ça et je le dis. Cela me semble plus opportun que de s'enniaiser collectivement en se racontant des histoires à l'eau de rose. Et en soi, c'est déjà une action.
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
@ Bertrand : Je vous avoue que je ne suis pas enthousiasmé par ce que les "grands partis" (PS & UNP ) préparent pour 2012. C'est un pâle euphémisme.
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
Merci de m'avoir fait découvrir votre blog sur lequel je viens maintenant quotidiennement!
Cet article, comme les autres, questionne les questions, et va au-delà des ombres de la caverne par exigence de comprendre et de savoir.
Nous ne devons pas accepter ces fabrications de pseudo hommes providentiels. Nous devons rester attentifs, encourager et accompagner ceux qui ressemblent aux héros de demain... Des héros authentiques et pas forcément sous les feux des projecteurs!
A bientôt!
Écrit par : Nelly | jeudi, 06 novembre 2008
Bienvenue, Nelly, sur ce blog où, comme vous le dites si bien, on questionne les questions sans forcément repondre aux réponses.. Avant de mourir, Gilles Chatelet a écrit un essai que j'ai perdu, qui s'appelait "Vivre et penser comme des porcs" ( Oui, Porky, ça va...), que j'ai perdu. Je me souviens qu'il évoquait cette notion de "héros du quelconque", à quoi votre commentaire me fait penser. C'est vous, d'ailleurs, qui avez d'une certaine façon soulever sur votre blog cette question. Je vous en remercie.
A bientôt
Écrit par : solko | jeudi, 06 novembre 2008
Très beau billet , très bien cette idée de fabrique... Merci à B.redonnet de nous rappeler que Debord avait déjà beaucoup écrit à ce sujet bien qu'il fût en son temps, raillé, traité de paranoïaque et que l'on mit-parfois- la pensée très lucide
(monstrueusement d'actualité): celle du pavé "la société du spectacle" sur le compte de son alcoolisme)... Quelques années plus tard , on retrouva Debord monstrueusement mis en spectacle (après sa mort) à Beaubourg dans un show "de musée" sur les situationnistes (pour la petite histoire), la fabrique s'étendant à tout.
Mais il y a des gens dans des coins ... plus que l'on imagine, je l'espère , qui observent et qui pensent...
Pour citer Guy Debord une petite phrase d'un film encore à voir d'urgence aujourd'hui traduit par:
"Nous tournons en rond dans la nuit,et sommes dévorés par le feu" :
http://www.dailymotion.com/video/xfnaq_guy-debord-in-girum-extraits_shortfilms
(Désolée, avec Daily motion nous retombons dans le spectacle, comme vous voyez, malgré nos sincères intentions, nos rebellions, nous sommes désespérement "coincés".
Desespérément "fabriqués" (?)
Écrit par : frasby | jeudi, 06 novembre 2008
@ Frasby : Avec la fabrication, nous retrouvons H.Arendt. Ce qui tourne, se rebelle et est sincère malgré les coups, c'est ce qui vit. Merci.
Écrit par : solko | vendredi, 07 novembre 2008
Très beau billet, très lucide. Vous êtes un humaniste Solko et cela fait grand bien de savoir qu'il en vit encore dans notre siècle. Qu'un peu de la Renaissance brûle d'un feu paisible et moqueur, dans notre siècle glacé, sans faux masque d'ironie étriquée.
Merci.
Écrit par : Tang | vendredi, 07 novembre 2008
@Solko et Frasby : Debord. C'est le propre de toute critique radicale et authentique d'un système qu'elle serve plus tard l'adversaire qui a l'intelligence de la détourner.
Je suis certain que "Les lumières" ont contribué à la pérennité de la mornarchie en la transformant, par exemple, en despotisme éclairé.
Le situationnisme a été repris par à peu près tous les tenants du pouvoir. Se rappeler, par exemple encore, le slogan de Mitterand : "Changer la vie."
Écrit par : B.redonnet | vendredi, 07 novembre 2008
Ben, il est où ce billet hyper -épatant sur les Curie????j'ai eu une hallucination?????
Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 07 novembre 2008
@ Sophie : Il est en fabrication. Une erreur de montage s'était produite. Et il n'y avait qu'une longue chronologie sans intérêt.
Écrit par : solko | vendredi, 07 novembre 2008
Pas du tout! Vous plaisantez! Et puis il y avait la chronologie des messes aussi! Fournée chronologies! Bon, ben si vous avez remis tout ça à cuire, j'attends la fin de la cuisson. Faites rien brûler, merci!!!
Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 07 novembre 2008
@ Tang : Merci à vous. A bientôt, par écrit.
Écrit par : solko | vendredi, 07 novembre 2008
@ Sophie : Je m'enferme dans la cuisine quelques instants.
Écrit par : solko | vendredi, 07 novembre 2008
Ok! moi je pars. Gardez moi un morceau pour ce soir! Bonne journée!
Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 07 novembre 2008
A bientôt Solko, prenez tout votre temps vraiment.
Écrit par : Tang | samedi, 08 novembre 2008
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