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mercredi, 01 octobre 2008

Eloge du vent

Sous le règne du dieu Eole, le monde, comme saisi de vertige : l'info-spectacle, soudain en pleine effervescence. Bouillonnement confus d'infos, d'infos qui voltigent et se contredisent. Certains experts sortent du bois; d'autres s'y terrent. Loup, y es-tu ? Et chacun de se demander quelle sera la prochaine banque à prendre l'eau : la sienne ou celle du voisin ? Les billets morts se ramasseront-ils à la pelle ? L'info à deux mille à l'heure; mais l'info, comme l'argent numérique, est-ce autre chose que du vent ? Dans "Ulysse", James Joyce nous l'a bien dit, qui transforme le directeur du journal en un Eole sadique et courroucé.  Démence, d'un temps qui fait mine de découvrir qu'il n'est, lui et ses valeurs, que relatif. Placé sous le seul règne, comme le disait Erasme en son temps, de la plus pure Folie  :

Je n’appelle pas démence, notez-le bien, toute aberration des sens ou de l’esprit. Un qui a la berlue prend un âne pour un mulet, comme un autre s’extasie sur un mauvais poème ; on n’est pas fou pour cela. Mais si, outre les sens, le jugement s’y trompe, et surtout avec excès et continuité, on peut reconnaître la démence ; c’est le cas de l’homme qui, chaque fois que l’âne brait, jouit d’une symphonie, ou du pauvre diable, d’infime condition, qui se figure être Crésus, roi de Lydie. Assez souvent, cette espèce de folie est agréable, tant à ceux qui l’éprouvent qu’à ceux qui en sont témoins et sont fous d’une autre façon. Elle est beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit dans le public. A tour de rôle, le fou se moque du fou, et ils s’amusent l’un de l’autre. L’on voit même assez souvent que c’est le plus fou des deux qui rit le plus fort. Mon avis, à moi, Folie, est que plus on est fou, plus on est heureux, pourvu qu’on s’en tienne au genre de folie qui est mon domaine, domaine bien vaste à la vérité, puisqu’il n’y a sans doute pas, dans l’espèce humaine, un seul individu sage à toute heure et dépourvu de toute espèce de folie. Il n’existe ici qu’une différence : l’homme qui prend une citrouille pour une femme est traité de fou, parce qu’une telle erreur est commise par peu de gens ; mais celui dont la femme a de nombreux amants et qui, plein d’orgueil, croit et déclare qu’elle surpasse la fidélité de Pénélope, celui-là personne ne l’appellera fou, parce que cet état d’esprit est commun à beaucoup de maris. Rangeons parmi ces illusionnés les chasseurs forcenés, dont l’âme n’est vraiment heureuse qu’aux sons affreux du cor et dans l’aboiement des chiens. Je gage que l’excrément des chiens pour eux sent la cannelle. Et quelle ivresse à dépecer la bête ! Dépecer taureaux et béliers, c’est affaire au manant ; au gentilhomme de tailler dans la bête fauve. Le voici, tête nue, à genoux, avec le coutelas spécial qu’aucun autre ne peut remplacer ; il fait certains gestes, dans un certain ordre, pour découper certains membres suivant le rite. Autour de lui, la foule, bouche bée, admire toujours comme un spectacle nouveau ce qu’elle a vu déjà plus de mille fois, et l’heureux mortel admis à goûter de l’animal n’en tire pas mince honneur. A force de poursuivre les bêtes fauves et de s’en nourrir, les chasseurs finissent par leur ressembler ; ils n’en croient pas moins mener la vie des rois.

(Eloge de la Folie - Erasme)

07:32 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : erasme, actualité, crise, folie, littérature | | |

Commentaires

Solko, vous êtes vraiment le Pygmalion idéal pour qui voudrait se cultiver sans savoir par quel bout prendre la littérature ... J'ai construit ma culture toute seule dans mon coin, que de temps aurais-je gagné en commençant très tôt à vous lire ! Il est vrai qu'à l'époque, internet n'existait pas.
Grâce à vous depuis peu, quelques livres cessent de dormir sur leur étagère ... Aurai-je le temps de m'y accrocher en évitant le survol au milieu de mes activités, ça - c'est une autre histoire, hélas !

Écrit par : simone | mercredi, 01 octobre 2008

@ Simone : oh mais c'est l'histoire de tous les lecteurs que vous contez là. Hélas ! La période durant laquelle j'ai le plus lu, notamment Ulysse, c'est quand j'étais veilleur de nuit...

Écrit par : solko | mercredi, 01 octobre 2008

Je partage l'avis de Simone ... et ce n'est pas toujours l'histoire de tous les lecteurs. Détrompez vous.
En ce billet rien que le titre !
et le grand Erasme... pour la folie de ces heures que l'on passe tête nue...
Un tel billet pour une fois ne me plongera pas dans un livre (Erasme plus tard) mais je vais sortir, aller goûter le vent "qui passe à travers la montagne " et qui rend heureusement fou.

Écrit par : frasby | mercredi, 01 octobre 2008

@ frasby : si vous allez à la montagne et si vous laissez les livres derrière vous, surtout, n'oubliez pas votre appareil. Si je le pouvais, je crois que je m'éclipserais moi aussi quelques instants. Il y a en ville comme une saturation des choses et des événements . Lire le livre de la nature est un préambule à la lecture de tous les autres.
A vous donc, ce vent qui rend heureusement fou, laissez en pénétrer quelques particules choisies dans la cellule de la blogosphère. Car privés de lui, beaucoup de citadins sont devenus malheureusement fous.

Écrit par : solko | mercredi, 01 octobre 2008

message reçu 5 sur 5 cher ami ...lu et approuvé à 100%
Hélas des chiffres , toujours des chiffres ...bilanbilan
heureusement qu'il y a le petit vent frivolant qui nous fait traverser la ville en passe muraille ...
Allez! demain c'est vents (et pluies ?) sur la colline, un bon début. Aujourd'hui, je suis allée sous la tour endormie, sous le clocher du maître du monde à Poncet ...
J'ai bien pensé à vous...

Écrit par : frasby | vendredi, 03 octobre 2008

@ Frasby : C'est là que bat le coeur invisible et invisité de Lyon

Écrit par : solko | vendredi, 03 octobre 2008

@ Solko et Frasby: mais où est ce coeur invisible, de quoi il s'agit? (sauf si c'est top secret, je comprendrais très bien d'ailleurs...)

Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 03 octobre 2008

Rien de top secret. L'endroit est en plein centre ville, place Bellecour, ou plutôt place Antonin Poncet ( ça jouxte). L'endroit est exposé à tous les regards. Mais personne ne le voit. Il parait qu'un romancier y habite. Et comme tous les romanciers, il est maître du monde.

Écrit par : solko | vendredi, 03 octobre 2008

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