lundi, 27 avril 2015
La vocation singulière
J’écoutais hier le prêtre de ma paroisse évoquer la « crise des vocations » qui secouerait l’Eglise actuelle, et rappeler à l’auditoire la prière de l’ancienne liturgie, « Seigneur, obtiens-nous des prêtres, Seigneur, obtiens-nous de saints prêtres ». Et d’insister lourdement pour que ce fût des garçons, pour lâcher finalement à un auditoire en partie féminin que même si tout vient à point à qui sait attendre, il ne croyait pas que la Tradition céderait sur ce point là. Je l’espère tout autant que lui, car le rôle de la Tradition est bien de demeurer constante et de s’offrir par delà les âges, identique à toutes les générations. Cela est d’autant plus vrai dans un monde où la modernité se propose elle-même, par un sophisme inepte, comme une forme de la Tradition, un moteur qui tourne sur lui-même et dans sa volonté de tout réformer, engloutit tel un ouragan qui serait son propre fondement tout ce qui a encore un peu de volonté propre et de signification. Et puis le catholicisme n’a-t-il pas déjà suffisamment emprunté de mondanité au protestantisme avec Vatican II, pour qu’on songe à désirer cet oxymore dérouté que serait un prêtre-femme ? Seigneur, obtiens-nous des prêtres…
Mais je m’égare, tel n’est pas l’objet de ce billet.
L’objet de ce billet, c’est que l’Eglise n’est pas la seule à souffrir d’une crise de vocations. Ce n’est pas l’Eglise, qui est en crise, c’est la Vocation elle-même, et tout ce qu’elle rend palpable et vivant au-dedans de l’Etre. En dehors de toute considération théologique, qui rend évidemment absurde cette analogie, connait-on beaucoup de jeunes médecins, professeurs, artisans, avocats, journalistes, politiciens, qui se sont sentis « appelés », au sens propre du terme ? Tout le monde cherche l’argent, ou bien la valorisation du spectacle, ou encore la sécurité à l’abri d’un bon diplôme ; le salariat et la technicité ont miné les fondements même de la vocation, et le discours dominant qui socialise tout ne laisse pas de place pour l’aventure individuelle. Les prêtres sont mal payés, certes, mais la technicité partout à l’œuvre et l’égalitarisme nivelant tout n’ont pas encore dévasté leurs cures. D’une certaine façon, le rite les protège. Dieu doit tout particulièrement veiller sur ses ouailles. A moins qu'il ne les laisse s'endormir dans leur tiède bocal.
Quand la vocation s’estompe de son cœur, le pire est à craindre de l’homme – et la femme sur ce point est bien son égale. Une société prétendument humaniste où chacun finit par vomir l’autre dès que les 35 heures sont bouclées, où chacun ne se sent plus appelé, mais formé, pour ne pas dire formaté, avec tout le mépris qui va avec ; une société où une poignée de salopards rigolards vous affirme que la plupart des métiers qu'exerceront vos enfants n'existent pas encore, et que des objets connectés font aussi bien l'affaire que des hommes, peut-elle encore avoir la vocation ? Le discours économique y a valeur de dogme, l’expertise de science, le consumérisme et la communication de religion. Une société est morte, quand ne s’y reconnait plus aucune grande voix singulière.
Kathleen Ferrier
05:58 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vocation, religion, tradition |