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vendredi, 01 mars 2013

Main courante

L’écriture d’un roman est avant tout affaire de choix.

Si l’on ne veut pas perdre trop de temps avec ces foutus personnages qui ne sont soumis, eux, à aucune loi de gravité, il faut leur en donner une, il faut devenir leur gravité. Trancher dans leur gras, dans leur vif, dans leur existence. Etre un faiseur d’intrigues, ce qui dans le monde réel est l’activité la plus sordide, la plus détestable qui soit.

Les lecteurs d’à présent n’apprécient pas les descriptions. Avouons, à leur décharge que la culture de masses a aplati sans ménagement autour de nous les reliefs des anciennes sociétés. La pension de maman Vauquer (un avant-goût des Choses de Pérec) relèverait de la pire des provocations au lecteur de l’ère Ikea. Un peu comme faire un baise-main à Caroline Fourest à la sortie d’un mariage pour tous.

 « Pour expliquer combien ce mobilier est vieux. crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l'intérêt de cette histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas. »  (Les connaisseurs de Balzac apprécieront au passage l’emploi du conditionnel.)

Bref, le lecteur actuel ne pardonne pas en effet les longues descriptions, parce qu’il vit dans un monde dont les formes et les paysages standardisés offrent un intérêt de plus en plus limité, ce qui restreint davantage les choix du romancier au moins autant que ça simplifie la vie du sociologue. Disons que ça ne lui laisse que des options.

Autre débat, et de taille celui-ci, la part laissée aux lieux communs

Le roman étant le genre commun par excellence, il est évident qu’on ne peut, n'en déplaise à James Joyce, en extraire totalement le lieu commun. Ce serait d’ailleurs héroïque : il faudrait que le romancier lui-même ne soit pas un homme commun, ce qui est tout sauf le cas.

Tout, en ce domaine comme en d’autres, étant affaire d’ingrédients, on en revient à la question délicate du choix. Se démarquer du lieu commun (rebaptisé en novlangue pensée unique) est nécessaire pour faire œuvre d’originalité. S’en démarquer trop est malhabile en termes de marketing éditorial. Porte étroite pour les faux-monnayeurs, éluderait Gide, façon d'être ludique.

La question du lieu commun croise aussi celle du vocabulaire. Nous vivons dans un temps où il est hasardeux, par exemple, d’employer des verbes trop compliqués, je veux dire autres que faire, dire, voir, entendre, vouloir, pouvoir et niquer ; même remarque pour les noms, les adjectifs et les adverbes. Les mots simplifiés peuvent servir à mettre en valeur un terme moins courant. On parlera alors d’effet poétique, mais il ne faut pas en abuser. Nous sommes en temps de crise, ne l'oublions surtout pas.

Il semble que la marotte du critique contemporain soit le rythme. Un rythme qui n’est plus affaire de périodes, d’assonances ou d’allitérations mais (héritage de Céline) de ponctuation. En gros, il faut faire bref et binaire. Quelque chose comme 1 0 00 11 000 111 et ainsi de suite. 

Nous sommes passés de l'ère de la plainte à celle de la main courante. Là, on ne nous a guère laissé le choix.

14:52 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, romanesque | | |