samedi, 24 mai 2008
Florilège de C.F.Ramuz
« L'ambition me dévore. Je crois avoir conscience de ma valeur et je souffre de ce qu'autrui ne la remarque pas, cet autrui qu'on dédaigne si souvent et qui nous est si nécessaire. J'aurais besoin d'encouragements. » (7 novembre 1896)
« Je crois que le bon sens crie qu'il vaut mieux être ignorant tout à fait que de l'être à moitié et qu'il n'y a pas d'inspiratrice de plus mauvais conseil qu'une demi-instruction. » (21 juillet 1898)
« Noël ; un des jours les plus terribles de l'année; l'ennui lourd, les gens atroces, le désœuvrement noir du temps qu'on doit à sa famille, - toutes ces choses adorables pour les simples et si touchantes quand il s'agit d'eux, si absurdes pour les compliqués. » (25 décembre 1901)
« Je n'ai besoin que de ce qu'il me faut pour vivre, avec un peu de confort que j'aime et de quoi m'acheter des cigarettes et du tabac. Le succès ? Non comme on l'entend, je veux dire le bruit, mais l'estime de quelques hommes qui ont la mienne. Où mon ambition est très vive, c'est au-dedans de moi-même. J'aspire à me réaliser : voilà où je mets toute mon ardeur, toute ma force et toute ma volonté. C'est sans doute pourquoi je suis incapable du moindre effort pratique, de la moindre démarche ou même du moindre métier. On me dit : Vous n'avez point de volonté. C'est vrai. Elle est toute intérieure et se consume à des œuvres presque secrètes. » (23 janvier1905)
« L'écrivain se trouve une fois, tout entier, et c'est un hasard, et c'est toujours un hasard. Mais enfin il se trouve et il est une fois lui-même. Le sentiment de force et de bonheur qu'il éprouve le porte alors à regarder sans cesse vers cet état supérieur, d'où il est bientôt retombé » (24 juin 1910)
« Les pauvres gens ne résistent plus. Il y a une vertu dans cette non-résistance, une inconsciente sagesse aussi. Céder, c'est courir la chance d'échapper encore, résister, c'est être brisé. Ils se laissent faire; un coup de vent vient, ils se laissent aller dans le sens du courant comme les feuilles mortes, comme les fumées. » (16 aoüt 1914)
« J'ai mis tout l'enjeu de ma vie sur une seule carte qui n'a pas chance de sortir. Mais si elle sort, ce sera beau. En attendant, il faut faire souffrir. » (1er novembre 1916
« Je déchire plus de deux cents pages : fragments, essais, plans,projets, - de quoi remplir ma corbeille à papier qu'on portera dans le jardin dès qu'il fera beau, et on allumera un grand feu de feuilles mortes. » (8 mars 1920)
« La guerre de nouveau (la seconde) Et dire que, jusqu'au dernier moment, il y a eu des gens qui n'y croyaient pas. Et elle est là, maintenant. Et ils n'y peuvent pas croire encore. » (2 septembre 1939)
« Les découvertes techniques de l'homme (et dont l'homme est si fier) sont à double emploi et à double fin : elles accroissent infiniment ses pouvoirs (au sens actif du mot), on veut dire ceux qui tendent à faire, mais, par une espèce de malédiction, accroissent bien plus encore ses pouvoirs négatifs, on veut dire ceux qui tendent à défaire. De sorte qu'on met deux siècles à construire une cathédrale, mais qu'ensuite on invente une espèce d'obus ou de torpille qu'on n'aura qu'à laisser tomber du haut des airs pour réduire à néant en une seconde la somme de tant d'efforts. » (8 septembre 1939)
« Beaucoup d'hommes ont perdu le sens du sacré. Ils ont perdu le respect de ce qui est, à cause de la confiance qu'ils mettent en eux-mêmes. Il y a respect et vénération dans le mot sacré : c'est que l'homme avait peur et nous n'avons plus peur; c'est que l'homme admirait et nous ne savons plus admirer. Nous ne sommes plus reliés à rien » ( juin 1940)
« Parfait nihilisme. On ne croit à rien, on ne tient à rien, on n'aime rien. Et si, par hasard, on aime au moins quelqu'un, cet amour n'est que dérision parce qu'on voit qu'il n'est fondé sur rien, il faut entendre rien de durable. Alors tout devient négligeable et tout devient indifférent. Sortir égale ne pas sortir, manger ne pas manger, faire ne pas faire. Les contraires se valent. Puisque tout doit finir, qu'importe ? » (Décembre 1942)
Tous ces fragments sont tirés du Journal de Ramuz, lequel est mort le 23 mai 1947.
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