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vendredi, 30 janvier 2009

Cinq francs : de l'or et du papier

Au dix-neuvième siècle, le billet de banque ne circule pas entre les mains du grand public, mais uniquement entre celles, plus averties, des banquiers (d'où son nom). Le billet est conçu pour des échanges de sommes importantes, afin d'éviter le transfert et l'échange de métal. Avec la guerre de Quatorze, pour acheter des obus et des armes, l'Etat Français a besoin d'or, car on ne conçoit pas, à l'international, d'être payé avec du papier. De toute façon du papier, hors frontière, personne n'en veut. L'Etat fait donc appel aux gens pour qu'ils lui remettent leur or. Effort de guerre, leur dit-on. Ils le donneront donc, leur or. Piécette par piécette. En échange, ils auront du papier. Quelques chiffres précis : A la fin de 1913, ne circulent que 50 millions de billets pour un total de 5 718 millions de francs. Du temps de Léon Bloy et d'Alfred Jarry, la monnaie d'or et d'argent assurait entre Français la plus grande partie des paiements du quotidien.  A la fin de 1918, la circulation de billets représente 30 254 millions de francs, et occupe 650 millions de billets. On raconte que le jour de la mobilisation, le gouverneur de la Banque de France Pallain est descendu lui-même dans les ateliers de l'imprimerie pour y consigner le personnel. Durant quatre ans, la planche à billets a tourné jour et nuit. Et nuit et jour. Des imprimeries se sont ouvertes à Grenoble, Lyon, Saint-Etienne. Le personnel y travaille 14 heures par jour. A l'époque, le salaire horaire d'un conducteur d'atelier s'élève 0,88 F, celui des conducteurs de machines varie de 0,66 à 0,77. Les margeurs reçoivent 0,25 à 0,30 F l'heure, les heures supplémentaires sont majorées de 0,30 pour les conducteurs, de 0,10 pour les apprentis et les dames. Sur papier de Rives, on imprime une quantité de petits formats à valeurs faciales faibles (10, 20 et 5 francs). C'est ainsi que naît ce nouveau billet de 5 francs, en remplacement de celui de Léon Bloy Toutes valeurs confondues, les livraisons atteignent de 120 000 à 150 000 billets par jour.

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La victoire, tout d'abord. Le médaillon du recto représente la France, victorieuse et casquée. Elle a été dessinée par Georges Duval et gravée par Romagnol. Les premières coupures entrent en circulation en 1917. Le billet sera retiré de la circulation en 1940. D'une guerre, l'autre. En 1938, un an avant sa démonétisation, est sorti un film de Marcel Carné, très librement inspiré du roman de Mac Orlan publié en 1927, Quai des Brumes. Jean Gabin, Michèle Morgan, « t'as d'beaux yeux, tu sais... »  Une légende, désormais. Je ne sais pas pourquoi, quand je regarde sur le verso du Cinq franc violet 1917 ce docker moustachu, c'est au Havre de Carné et de Gabin que je pense. A ce Havre empli de brumes, en grande partie fabriqué en studio, à ce port en carton-pâte, quoi, comme le billet lui-même. C'est un artiste nommé Walhain qui croqua ce personnage, un sac sur l'épaule, grimpant l'échelle pour accoster. Les dialogues sont de Jacques Prévert : Il y a dans Quai des Brumes une scène qui se déroule non loin du port : Nelly, le personnage joué par Michèle Morgan, glisse dans la poche de Jean, le personnage joué par Gabin, une poignée de billets. J'aime à penser que c'est une poignée de ces billets-là. C'est même fort probable. Cela correspond à la somme dont ce personnage assez pauvre peut, vraisemblablement, se séparer alors, sans se placer en un grand péril.

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Les billets de banque, comme les films, ne sont que des images. Ces images n'ont  plus quitté, dès lors, les portefeuilles des Français, lesquels n'ont jamais vraiment retrouvé leur or. La Banque de France venait ainsi de réaliser le kidnapping du siècle : et pour les  siècles de siècles ! Le peuple, bouillie à canon venait d’acheter, piécette après piécette, ces canons. Il ne restait qu’à le divertir pour qu’au final, il ne pût se dire qu’il avait gagné la guerre pour rien : Avec ces images ressemblant à des bons points, il put donc aller voir d'autres images. Les planches à billets n'ont plus cessé de tourner depuis, même (surtout) en temps de paix. Comme des bobines de vent, d'images et de pellicules : elle est bien malheureuse, la petite Nelly aux beaux yeux, à la fin de Quai des Brumes, quand elle recueille en un baiser le dernier souffle du légionnaire, qu'une petite frappe vient d'abattre en pleine rue. On y croit. On pleure avec elle de voir qu'il est en train de mourir sur le pavé du Havre, le légionnaire au cœur d'or. C'est cela la monnaie fiduciaire : rien que du cinéma.

Pour être riche, il suffit de faire en sorte que tout le monde le croit.

00:41 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : billets français, romagnon, walhain, duval, carné, quai des brumes | | |