Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 07 février 2012

Toutes les civilisations valent bien une campagne présidentielle

La  petite phrase a fait mouche. C’est fait. Dans les états-majors de tous les partis, elle a joué son rôle sordide. « Allumer le feu », dirait un certain rocker presque septuagénaire et amateur lui aussi de lieux communs. Dans le calendrier de la campagne, elle a tenu son rang. « Toutes les civilisations ne se valent pas », et son corollaire tout aussi absurde, « toutes les civilisations se valent », cimentent ainsi chez les éditorialistes de tous crins une polémique bipolaire digne d’un café du commerce qu’on aurait réduit à sa portion de clients la plus alcoolisée.

Que penserait de tout cela un spécialiste de la question comme Georges Dumézil ? Rien, sans doute, sinon qu’il est détestable de perdre son temps et qu’il n’y a rien à penser de ce type de formules, le « tout se vaut » étant aussi dénué de  perspective et de sens que le « tout ne se vaut pas. » : Hamon d’un côté, Raffarin de l’autre, un débat s’élève pourtant ! Le Président de la République et le Chef de l’opposition la ramènent à leur tour. Le plus étonnant étant in fine le silence de ceux qu’on appelait jadis les intellectuels (voire les érudits)  pour tenter de recentrer la question.

Une telle phrase a donc une fonction : créer le buzz. Faire qu’une journée encore se déroule, durant laquelle on parle de la campagne. Démocratie spectaculaire oblige, la vie médiatique du pays va devoir battre au rythme de la campagne, c’est à dire de ces formules creuses mais si efficaces auprès des militants, puisqu’elles ont l’air de définir pour chaque camp ce que sont le Bien et le Mal, le Vrai et le Faux, le Juste et l’Injuste. De quoi simplifier la vie de l'électeur de base qui n’a plus qu’à placer son indignation dans le parti de son choix. Bref, le Pour et le Contre.

A coups de formules communicationnelles, les deux camps jaugent ainsi leurs forces chez les sondeurs, les militants, les sympathisants. Ces formules dont les mois qui viennent fourniront de nombreux exemplaires (on aura même besoin pour se décider devant l’urne d’un kit complet)  animent ce que Julien Benda dans la Trahison des Clercs appelait la passion politique : ce penchant funeste et si dérisoire qui pousse un intellectuel, au nom du « réalisme », à s’engager dans le champ du politique, à faire rentrer les passions politiques dans ses activités de clercs.

littérature,politique,claude guéant,julien benda,la trahison des clercs,propagande,communication

Julien Benda

Relisons brièvement ces quelques lignes que j’en tire ce matin :« Pour en revenir à l’écrivain moderne et aux causes  de son attitude politique, j’ajouterai que non seulement ils sert une bourgeoisie inquiète, mais qu’il est devenu lui-même de plus en plus un bourgeois, pourvu de toute l’assiette sociale et de toute la considération qui définissent cet état, l’homme de lettres bohème étant une espèce à peu près disparue, du moins parmi ceux qui occupent l’opinion ».

En soulignant l’adéquation entre les changements apportés au statut social des écrivains et la structure de leur esprit, Benda anticipait le monde contemporain : il annonçait déjà la naissance de l’insupportable bobo de gauche, frère jumeau du bien-pensant de droite, la réduction de la vie intellectuelle critique à du lieu commun communicationnel adaptée aux réseaux sociaux et, pour parler bref, la défaite de la pensée. Sa conclusion elle-même, lorsqu’il se fit le chantre de « l’existence désintéressée » face aux « passions politiques » porte tous les germes de l’abstention populaire qui menace les états-majors politiques des deux camps, et qu’ils  cherchent à combattre par ce genre de tactiques de partis aussi minables qu’éculées, qu'on appelait jadis de la propagande.