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mercredi, 23 octobre 2019

La mort de Dieu

Le dix-neuvième s’ouvre en 1802 avec l’opuscule de Hegel, Wissen und Glaube dans lequel s’énonce avec gravité et pour la première fois le sentiment, cruel et douloureux, mais si romantique à la fois, de « la mort de Dieu ».

Un temps nouveau a commencé, écrit-il. En résumé, Dieu, l’être absolu, étant devenu homme par le Christ, Il est entré dans l’Histoire. Entrant dans l’Histoire, il a cessé d’être absolu, d’être infini, pour exposer sa réalité à « l’acte de passer », d’épouser la relativité du temps, d’éprouver en soi-même toute « la dureté du destin de ce qui est fini » : Ce n'est donc pas seulement la nature humaine du Christ qui meurt sur la croix, mais la nature divine du Père qui se retire et s’efface de ce que l’homme peut raisonnablement envisager. La mort du Christ sur la Croix doit donc être entendue comme impliquant aussi la mort de Dieu : Devant ce constat, l’esprit goûte alors avec certitude la vérité qu’il est mortel, et devient en quelque sorte « certain de soi-même », un esprit « absolu ». Du même coup, le Vendredi Saint qui jadis était historique devient, conformément au credo maçonnique dont le philosophe se fait le serviteur, un Vendredi Saint purement spéculatif.[1]

Mais à quelle tache, quelle œuvre cet « esprit absolu » va-t-il se vouer en ce bas monde ? Quelle politique sera la sienne face au cours des événements ? Le raisonnement d’Hegel, qui consiste ainsi à faire de la raison l’outil de connaissance naturel le plus ultime de l’être, ne le dit pas. Cet « esprit absolu » néanmoins étant devenu la référence pour décider ce qui est vrai ou non, on imagine bien que son combat n’ira pas dans la direction la plus christique, et moins encore la plus mariale. Lucifer a bel et bien sa propre spiritualité…

De la religion, il ne conserve en un mot que ce que la raison ainsi définie peut en accepter, et rejette le reste dans le champ soit de la superstition, soit d’un mysticisme étranger au champ philosophique dont il a fixé lui-même les limites. En tant qu’homme, le Christ ne peut être qu’un enseignant. Si sa mort sur la croix demeure édifiante, il n’est plus question de considérer sa Résurrection comme un sujet acceptable par cet « esprit absolu ». Elle n’est en aucun cas conceptualisable, comme tout ce qui touche à l’Incarnation. Mais dans un tel raisonnement, que demeure-t-il du Dieu trinitaire, celui des Chrétiens dont pourtant Hegel fait mine de parler, qui est Père, Fils et Saint Esprit, trois personnes en une seule nature ? Il ne parait s’intéresser qu’au Christ en croix, c’est-à-dire à la personne du Fils, envisagée de manière autonome – et non consubstantielle - des deux autres, ce qui n’est pas un point de vue chrétien, pas même protestant…

Quant à Sa Mère, il n’en est nullement question. On comprend pourquoi :

La Vierge Marie incarne l’expression la plus pure du surnaturel que ne peut comprendre ni par conséquent accepter « l’esprit absolu » en rébellion contre lui : toute la vie de la Sainte Vierge ne témoigne que de l’existence de Dieu ; non pas sous la forme d’un enseignement spirituel que la raison puisse appréhender, comme c’est le cas des Écritures, mais sous la forme de l’action surnaturelle conjointe du Père, du Fils et du Saint Esprit exercée sur l’intégralité de sa personne physique et spirituelle (Annonciation, conception, rédemption, assomption, couronnement) : Aussi même si « l’esprit absolu » peut encore envisager la réalité historique de la mère de Jésus, aborder ce qu’est véritablement la Vierge – ce qui ne se peut réaliser que dans la prière – lui est impossible. Méditer un mystère de son saint Rosaire relève en effet non du travail de la pensée, mais du plus pur surnaturel : c’est laisser l’Esprit Saint découvrir son âme et enrober son propre cœur, c’est accepter qu’opère le travail secret, parfois fulgurant et souvent imperceptible, du dieu trinitaire en soi-même.

Tout le travail d’Hegel fut non seulement de nier ce surnaturel, mais encore d’en rendre la probabilité inacceptable et scandaleuse pour tout esprit se réclamant de lui ; littéralement, de dissocier la raison de toute possible compréhension de la transcendance. C’est ce qu’il appelle « la mort de Dieu ». Ce n’est, en réalité, qu’une description de sa propre mort ; sa propre mort à Dieu…

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Ô   Seigneur, prenez pitié de l’homme sans Dieu,

Prenez pitié  de l’homme qui s’est volontairement privé  de Vous !

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Quatre-vingt ans plus tard Nietzsche, dans le Die fröhliche Wissenschaft (Le Gai Savoir), contestera de manière identique toute valeur rédemptrice du sacrifice du Christ sur la Croix toute valeur rédemptrice :

« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d'eux ? »

Le texte adopte pour commencer le ton de la lamentation lyrique, qui monte en crescendo du constat du crime (« Dieu est mort ») à la déploration sur la victime (« ce que le monde a possédé de plus précieux, de plus sacré, de plus puissant ») jusqu’à l’affirmation de l’impossible expiation : « Qui nous lavera de ce sang, et avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? ») …

Mais peut-il ignorer, ce fils de pasteur luthérien, que le sang qui coule des plaies du Christ, ainsi que l’eau qui jaillit de son flanc, en même temps qu’ils dénoncent nos fautes et mettent en lumière notre culpabilité, forgent également les instruments offerts de notre rédemption ? Là encore, que demeure-t-il du Dieu Trinitaire et de la nature consubstantielle au Père et au Saint-Esprit d’un Christ réduit à n’être que la victime passive de l’abomination humaine ?  

 « La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? » : Ah ! Plutôt que d’accueillir en soi le « fiat » agenouillé devant la Croix de Marie et de Jean, voilà que l’homme sans Dieu tente à présent de comparer la grandeur de ses actes à la grandeur de la Crucifixion ! Pauvre Nietzsche ! Pauvre homme sans Dieu qui tourne le dos à la filiation adoptive, sans la considérer davantage ! Ne voit-il pas qu’à cet endroit même où chaque mortel manque à accomplir son œuvre, en Sa Passion, Sa Charité, Sa Divinité, Christ, Lui, paracheva la Sienne, pour les siècles des siècles ?

Quant au sophisme final, luciférien au possible, « Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement ? » ne sonne-t-il pas tel un assentiment étonnamment soumis à la proposition du Satan de la Genèse : « Vous serez comme des dieux » ? … Non, il n’eut rien de « fröhliche », ce triste savoir du surhomme, pas davantage que celui de cet « esprit absolu », par lesquels s’ouvrit et se ferma ce siècle, jetant la peine au cœur de l’homme sans Dieu pour des générations, en leur fermant l’accès au Ciel...  Seigneur, ayez pitié… Seigneur, ayez pitié de l’homme sans Dieu…

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[1] Bien avant Renan, Hegel a publié une Vie de Jésus envisagée sous un jour purement historique et gommant avec méticulosité tout aspect surnaturel. Elle commence par cette profession de foi maçonnique : « La raison pure, qui ne saurait être bornée, est la divinité elle-même ».

dimanche, 18 novembre 2018

Darwin, Freud, Hegel, Saussure et la seconde mort

La méfiance du paysan, enrobée au fil des siècles dans un rationalisme bourgeois seulement borné à ce qu’il peut percevoir du réel, aura trouvé son compte dans la théorie darwinienne, laquelle réduit l’homme à la seule évolution terrestre de la matière tout en prétendant le couper de toute autre origine céleste. La pensée que l’individu puisse être gouverné par son seul inconscient, tel que Freud et ses successeurs ont pu le décrire, a parallèlement considérablement réduit la notion de responsabilité, celle de conscience, et celle de libre arbitre tout en discréditant dans l’esprit de beaucoup la notion de péché originel : Dieu comme Satan, les anges et les démons s’en sont trouvés dans cette grille d’analyse réduits à peu de choses, ce qu’on pourrait appeler des symboles ou des mythes nécessaires à la nourriture de l’imaginaire, dans l’univers mental fermé sur lui-même ainsi fabriqué.

Pour favoriser l’orgueil du citoyen prétendument libre, il ne manquait plus qu’à penser la société et son histoire comme les seuls produits des luttes intestines qui les composent, en gommant toute notion de Providence et balayant ce que dit l’Écriture de l’action de Dieu sur nous tous. Exit donc toute intervention de la Trinité sur la création, l’individu, la société. Le Christ et Sa Passion se sont trouvés ramenés à une existence historique, interprétable et ré-interprétable à merci, indépendamment des Écritures elles-mêmes et de tout discours eschatologique. Avec Saussure enfin, a triomphé l’arbitraire du signe et la perversion de ce dernier. Élevé en dogme, le constat de cet arbitraire, fortifié par le succès grandissant des fables, a fait proclamer aux plus éminents linguistes que le mensonge était en quelque sorte constitutif du signe puisque rien n’est réel dans le langage hormis le fait de signifier.

Darwin, Freud, Marx, Saussure : Un temps, ces idoles de l’obscurantisme moderne ont abusé des générations jusqu’à ce que se fissurent les idéologies nées de leurs cultes assidus, tant au sein des universités européennes que des institutions qui font autorité dans le monde dit civilisé. Avec de tels maîtres à penser commencent l’ensauvagement du monde et la solitude sans solution de chacun en son sein aride. Comment, dès lors qu’on ouvre la porte au formatage de l’esprit par de tels maîtres, se fier en effet à l’Incarnation, la Révélation, la Providence, la Parole ?

Nous avons besoin de comprendre de quel point ils parlent et qui les envoie réellement; toutes leurs conclusions ne reviennent-elles pas à séparer intellectuellement l’homme (son corps, son esprit, son histoire, sa parole) du Christ, de sa Justice et de sa Charité ? Intellectuellement, mais pas réellement, puisqu’ils n’en ont nullement le pouvoir. Ils ne sont, au sens où Jean le Théologien l’affirme dans sa première épitre, que des antéchrists : « Mes bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit ; mais voyez par l'épreuve si les esprits sont de Dieu, car plusieurs faux prophètes sont venus dans le monde. Vous reconnaitrez à ceci l'esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas ce Jésus n'est pas de Dieu : c'est celui de l’antéchrist ; dont on vous a annoncé la venue, et qui maintenant est déjà dans le monde. »

Toute « l’élite républicaine » et, à tous les étages de la société qu’elle gouverne, chacun d’entre nous sommes plus ou moins imprégnés de ces faux-enseignements et de leur vulgarisation incessante [écoles, magazines, films, documentaires, séries, textes de lois, publicités…] qui ne cesse de nous aliéner. Partout, leurs avatars font autorité. C’est en gros ce que les gens revendiquent comme leur culture, en marge de la spécialisation à laquelle leurs études les ont confrontés, de leur survie économique et morale de plus en plus problématiques, et de leur dépendance grandissante envers la technologie. Là où le piège se referme...

Il n’y a vraiment que dans l’espace de la prière quotidienne, des sacrements, de la foi vive en la Trinité ainsi que dans la pratique de la charité, à l’abri de la Croix, dans l’attente des fins dernières et la conscience de l’illusion des temps présents, qu’une véritable échappatoire à ce conditionnement si oppressant demeure possible dans le recueillement de l’âme. Partout ailleurs, l’homme ensauvagé se retrouve condamné dès son existence terrestre à la seconde mort (mort de l’âme) dans laquelle un système au sens propre satanique le conduit avec zèle et avec l’assentiment faussement réconfortant de tous. Jamais les temps n'auront été si obscurs, jamais pourtant l'issue si proche et si visible pour les hommes de bonne volonté. Un terme dont il nous faut méditer le sens...

Au bout de la nuit, Christ est le seul chemin, la seule voie, le seul salut.

Darwin, Freud, Hegel, Saussure,jean

Saint Jean le théologien 

 

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