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mercredi, 23 février 2011

Quatrevingt-treize à la Renaissance

Lorsque à plus de soixante-dix ans, un siècle après les événements et quelques années après la Commune, Hugo écrit Quatrevingt-treize, la façon qu’il a d’absoudre la Terreur par la grandeur de l’œuvre révolutionnaire réveille contre lui la haine de la bourgeoisie de son temps : Ce que Cimourdain l’intraitable nomme « la république de l’absolu » c'est-à-dire la Terreur (la Commune), est justifié par Gauvain le pensif, qui en fait « la république de l’idéal. » et rappelle que « sous l’échafaudage de barbarie se construit le temple de la civilisation »

Les personnages du roman sont tous marqués par une double appartenance qui leur a fait adopter un point de vue contraire à celui de leur origine de classe : le girondin Gauvain est de naissance aristocratique, le jacobin Cimourdain est un prêtre défroqué, et même le féodal Lantenac, dans un geste de transfiguration sublime, change de camp : si la révolution est l’avènement du peuple et si le peuple c’est l’homme, la révolution doit être au fond l’avènement de l’homme : la révolution aboutie se trouve au fond dans l’effacement des affrontements partisans ; tel est le message teinté d’utopie littéraire d’Hugo. Tel est le propos que la Cie In Cauda, de passage pour quelques jours à Oullins, donne à entendre au théâtre de la Renaissance.

Toute la scène se déroule sous une unique lampe à suspension, comme à la veillée. Le parti-pris de la mise en scène est ainsi clairement narratif. Dire, dans un huis-clos ténébreux, l’histoire de la révolution, celle avec un H de celle avec un R. Dans ce rond de pénombre qui définit l’espace de jeux, cinq comédiens aux mains nues et au verbe haut endossent les mimiques, les gestes, les silhouettes de tous les personnages du roman ainsi que les voix et les postures du narrateur. Projetées sur deux écrans posés de part et d’autre au fur et à mesure que s’égrènent les chapitres du roman devenus scènes et tableaux, les planches dessinées par Jean-Michel Hennecart surlignent tel visage, tel épisode, tel décor de mer, de tour ou de forêt qu’on est en train de raconter. Devant ces noirs et blancs aussi précis qu’hachurés, antithèses picturales d’asphalte et de craie, on ne peut, bien sûr, s’empêcher de songer aux dessins de Victor Hugo lui-même. Un Victor qu’aurait revisité un autre Hugo, puisque s’impose aussi à l’esprit le crayon stylisé de Pratt. Une allusion scénique à la fresque et la bande dessinée bienvenue, éminemment complémentaire.

« L’histoire, écrivait Jean Vilar, « ce savoir bien aimé qui m’a conduit au théâtre» : Tout spectaculaire ainsi circonscrit dans ce rond de pénombre où se dit et se vit le texte, c’est donc à un théâtre d’histoire que nous sommes conviés par le metteur en scène, Godefroy Ségal, qui a aussi signé l’adaptation. Un théâtre d’histoire et de texte.

Bien plus que sur la mise en scène qui joue de la discrétion autant que possible, tout repose en fait sur la tenue et surl'efficacité de l’adaptation. Car le spectateur est visuellement livré au verbe de Hugo, dans ce spectacle qui se veut lecture de l’œuvre avant tout. L’écueil, à ce point, eût été de tomber dans un didactisme ronronnant, tant il est vrai que le manichéisme hugolien, s’il n’est souligné par l’humour, s’y prête souvent. Ecueil évité :  pour preuve, ces propos entre lycéens, entendus à la sortie du spectacle hier soir, somme toute rassurants :

« - ça donne envie de lire

   - moi j’ai pas la force de le lire

   - je voulais le prendre en biblio

   - je te le passerai, je l’ai à la maison… »

 

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dessin de Jean-Michel Hannecart - photo Incauda

 

 Quatrevingt- Treize, de Hugo,  par la Compagnie In Cauda  - Adapté et mis en scène par Godefroy Ségal, avec Géraldine Asselin, François Delaive, Nathalie Hanrion, Alexis Perret et Boris Rehlinger.   Dessins de Jean-Michel Hannecart - Théâtre de la Renaissance, Oullins,04 72 39 74 91, du 22 au 25 février, 20 heures 

Cette adaptation théâtrale de Quatrevingt-Treize est disponible aux éditions Venenum.