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mercredi, 09 février 2011

TDM3 aux Ateliers

Après la nouvelle, le cinéma, le théâtre : TDM 3, théâtre du Mépris 3, comme une formule d’ouverture. Il faut d’emblée rappeler tout ce que le développement de cette problématique du mépris contient de générationnel.

En 1963, lorsque Godard propose la sienne, Gabily n’a que huit ans. Du désenchantement jusqu’au mépris devant l’amour, devant la femme, devant le cinéma, devant l’argent, devant la mer, lorsqu’à la toute fin du film, elle n’est plus qu’un horizon vide de dieux, une image veule qui se laisse aussi happer par la caméra, tandis qu’Ulysse, lui, s’est métamorphosé en un ridicule personnage de péplum, le film de Godard n’était qu’un long travelling, fait de couleurs, de lumière, de silence et de musique,  qui conduisait à cela : cette séparation du héros et de l’écrivain, lequel tournant le dos à la mer et à Fritz Lang, retournait au théâtre.

« Notre histoire s’est écoulée », dira plus tard l’écrivain de Gabily devant le corps puant et couvert de pisse d’Ulysse. « Je me suis laissé manger moi-même », avouera plus tard l’Ulysse de Gabily.

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 ©D.Anémian.

 

L’idée (la commande) date de 1992. Huit ans nous séparait alors de l’an 2000, de l’arrivée, du « nouveau millénaire », souvenez-vous, d’un nouveau brave new world lequel, faute de révolutions politiques, spirituelles, nous promettait une « révolution technologique », la seule, nous disait la publicité, qui serait à la hauteur des pauvres infirmes que la société du spectacle avait déjà fait de nous. L’humanité vivait ses dernières années sans portables, sans Internet, sans téléréalité, sans Zidane, sans le fameux tittytainment (1) conceptualisé par Zbigniew Brzezinski et ses sbires, partisans de la nouvelle économie.

 

Gabily, avec son groupe T’chan’g, incarnait alors un carré de résistance : « S'il n’est pas trop tard -ce dont on aimerait ne pas douter- on voudrait que ce qui fait de nous des acteurs-citoyens (y compris de nos propres aveuglements), des encore vivants-citoyens serve à la résistance, même partielle, même infime, à la domination du prêt à délasser pour tous ». (2)

Le théâtre pouvait-il s’organiser en lieu de résistance contre cette « déferlante » de l’image (3) ?  En avait-il le temps, l’art, les moyens ?

Toutes ces questions sont au cœur de la confrontation entre quelques personnages incarnant l’Occident et réduits à quelques initiales, E (l’écrivain dépassé par les événements), R (le réalisateur cynique), P (le producteur libidineux), H (l’héroïne accroc à l’héroïne), C (le chœur de starlettes prêtes à se vendre) et U (Ulysse devenu clodo après Diên Biên Phû.).

Toutes ces questions sont aussi au centre du dispositif textuel de Gabily, qui mêle scènes de comédie caustiques entre ces personnages pour le coup à bout de souffle, et les soliloques beckettiens d’Ulysse, enfin douché et retrouvant le fil ressassant de son esprit. Mais déjà s’ouvre un autre monde avec les premiers attentats contre le World Trade Center de février 1993. Ce monde, « cette belle catastrophe » avec quoi « se faire des couilles en or », dont Gabily n’aura eu le temps de n’entrevoir que les prémisses, le producteur le préférera aux divagations d’un pauvre fou.

 

Au centre de la scène des Ateliers, Chavassieux a placé un exemplaire d’Ulysse, celui dans lequel le siècle fou qui allait faire de l’individu une quantité négligeable s’incarna, celui du grand Joyce. Ce bouquin jeté au sol négligemment par l’écrivain désabusé, tous les personnages l’enjambent par petits bonds, faisant mine de ne pas remarquer sa présence, au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent dans le mépris. Autour du livre abandonné s’organise l’espace, le canapé-lit, la télévision, l’ordinateur, la caméra, les bobines, elles aussi abandonnées.  

De Joyce à Godard, les signes du vingtième siècle subissent ainsi le mépris jusqu’à l’entrée du chœur hystérique de candidates venues pour un casting, ivres du narcissisme et avides de notoriété. Comme le vieux vétéran de Diên Biên Phû est délaissé par tous, l’œuvre littéraire, l’œuvre cinématographique, l’œuvre théâtrale le sont aussi, dans une sorte de mise en abyme à l’image d’un huis-clos, dans lequel ce curieux homme aux mains interprété par Chavassieux lui-même fait figure de clown en quête d’emploi.

La résistance à la société du spectacle demeure-t-elle au cœur de nos préoccupations, ou bien la société du spectacle, prompte à faire de tout un ingrédient de sa cause,  a-t-elle déjà fait de ce motif un lieu commun ?  L’art a-t-il encore les moyens de résister au mépris, désormais fait monde ? 

La reprise de Gilles Chavassieux affronte avec une sorte de malice militante ces graves questions. Le spectacle a besoin de trouver son rythme car les comédiens, encore très isolés dans ce que leur rôle a d’allégorique, ont parfois du mal à déplier toute la densité du texte pour accorder leur énergie dans un jeu qui leur soit commun. Mais chacun assure avec force et conviction sa partie.  Cette adaptation mérite donc d’être vue, saluée et défendue, et Chavassieux, porteur de Gabily comme il le fut de tant d’autres, remercié de ses choix et de ses exigences.

 

 

(1)   Cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant  de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète »

(2)  Cadavres si on veut, Libération, juin 1994

(3)  1993 : l’année où mourait Fellini, l’annonciateur de Ginger et Fred

 

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 TDM3  de Didier-Georges Gabily, mise en scène de Gilles Chavassieux

 

Avec Jean-Marc Avocat, Gilles Chabrier, Valérie Marinese, Alain-Serge Porta, Christian Taponard, Gilles Chavassieux, Lucie Donet et Claire-Marie Daveau, Emma Pluyaut-Biwer, Caroline Roussel et Louise Saillard-Treppoz

 Du 7 au 19 février, Théâtre des Ateliers, Lyon.

 

 

10:04 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tdm3, gabily, théâtre, ateliers, chavassieux, lyon, littérature, le mépris | | |

lundi, 07 février 2011

Gilles Chavassieux : récit conversation

C’est un véritable plaisir de rencontrer Gilles Chavassieux, dont les fenêtres donnent sur le marché du quai Saint-Antoine à Lyon, et de l’écouter raconter l’aventure du théâtre dont il est à la fois le fondateur et le directeur. Lieu de constante innovation, mais aussi lieu de mémoire,  puisque son théâtre des Ateliers, non loin de la rue Mercière qui fut l’artère des imprimeurs au XVIème siècle, s’est édifié sur les décombres de l’ancien théâtre de Guignol.

En 1972, après une collaboration de neuf années avec Roger Planchon (comédien et assistant metteur en scène) Gilles Chavassieux désirait fonder un lieu qui fût dédié aux écritures contemporaines, « car, dit-il, c’est par les écritures contemporaines qu’on peut non seulement élargir, mais aussi renouveler le public du théâtre».

Il se tourne alors vers plusieurs municipalités (Lyon, Vénissieux, Sainte-Foy…) mais enregistre de leur part une fin de non recevoir. C’est alors qu’un ami, François Dupuis, attire son attention sur la démolition du quai Saint-Antoine en cours, programmée par le maire d’alors, Louis Pradel. Tout le quartier devait être détruit et modernisé, mais grâce à  la résistance des habitants et des commerçants, le soutien de personnalités comme Régis Neyret ou Jean-Jacques Lerrant (qui écrivait dans Le Progrès et le Figaro), les projets du « bétonneur » sont suspendus :

« Après quinze années de procès, le quai était mort. La société SISA avait expulsé tout le monde. Les commerces étaient murés. Les appartements, vides. L’ancien théâtre Guignol - ses très beaux parquets marquetés- avait été vandalisé. Les clodos qui s’y étaient réfugiés y avaient mis le feu. »

Gilles Chavassieux possède alors sa compagnie, le Groupe 64, qui produit des spectacles pour la jeunesse. Il est même le premier à obtenir du Rectorat, et ce avant Maurice Yendt, l’autorisation que les enfants puissent se déplacer pendant les cours afin de se rendre en salle de spectacle. Grâce au soutien de Jean Pila, le PDG de la société SISA, à celui de l’architecte Georges Baconnier qui élabore gratuitement des plans, grâce à l’apport de sa troupe d’alors, et celui de plusieurs spectateurs amis, grâce enfin à sa détermination et malgré l’endettement, les Ateliers voient donc le jour. Un an plus tard, avec l’arrivée de Francisque Collomb à la place de Pradel, le jeune théâtre reçoit une subvention conséquente, véritable ballon d’oxygène. En 81, le 1% culturel de Jack Lang le pérennise.

Gilles Chavassieux y présente en 1975 Ivan le Terrible de Boughalkov et Si l’été revenait d’Arthur Adamov en 1976 ; Il y créé en 1978 Les Huissiers de Vinaver. Et d’année en année, avec Nicole Lachaise, y construit un esprit maison, fondé sur l’écriture contemporaine. Depuis 2008, Simon Deletang partage avec lui la direction, sur le principe souverain que cette dernière ne doit être assumée que par des artistes.

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©Yohann Trompat

 


Gilles Chavassieux me parle ensuite de sa formation à la « vieille Martinière », d’où il a été « viré au bout de deux ans ». Il me décrit avec humour ces élèves qu’on emmenait  par « classes entières aux Célestins », les poches emplies de « bouts de craie et d’élastiques » et qui, dès le noir établi dans la salle, se déchainaient contre le spectacle « parce que le spectacle prenait alors, en temps et lieu, la place du maître ». Il évoque sa rencontre avec les romanciers contemporains d’alors : Steinbeck, Hemingway, Giono, Bazin, sa formation avec Gabriel Monnet, Jean Marie Boëglin et Roger Planchon. Il répète qu’il avait du mal « face aux écritures classiques » même s’il monta pourtant beaucoup plus tard La double inconstance et La Mégère Apprivoisée. Il y avait « du boulot partout à l’époque » et, en marge des adaptations de Rocambole, il travaillait à mi-temps comme dessinateur industriel dans l’électro calorique : Mais « J’étais démoralisé par les ambiances du lundi matin, avec ces types de 30 ans qui faisaient des gueules pas possibles… »

C’est de ces années de formation que Gilles Chavassieux avoue avoir tiré sa sensibilité pour l’écriture contemporaine ; parce qu’elle-seule, insiste-t-il, est à même de  renouveler le public : « L’écriture contemporaine est une langue qui devient charnelle, éloignée de toute forme de téléréalité, d’idées reçues, avec des types comportementaux singuliers.» Les auteurs qu’il évoque spontanément : Adamov, Brecht, Fassbinder, Vinaver …

On en vient naturellement à évoquer le spectacle de février, TDM3 de Didier-Georges Gabily. « Un coup de maître », s’enthousiasme son metteur en scène. Il se souvient avoir embauché Gabily qui avait alors 22 ans,  pour un petit rôle en février 1976, lors d’un cycle de représentations de Si l’été revenait d’Adamov à la Tempête. Gabily découvre le théâtre d’Arthur Adamov et rencontre Bernard Dort qui le soutiendra tout au long de sa trop brève vie. Il  publiera par la suite trois romans chez Actes-Sud, dont L’Au-delà. A l’époque, il ne portait que son seul prénom, Didier, n’ayant pas encore adjoint celui de son père, Georges.

« Trente ans après Godard, quarante après Moravia, il reprend la même bande : l’écrivain, le producteur, la femme et le réalisateur. Et au milieu de tout ça, de ces quatre bobos sympathiques, gens essayant de surnager dans les années 90, il place un personnage : c’est un clodo. Ils ont l’espoir de trouver en lui une inspiration pour écrire l’Odyssée ! »

Le spectacle débute ce soir. On ne dira rien de plus pour l’instant de ce clodo…  

 

Notre conversation en vient au statut du texte dans le spectacle contemporain. Même s’il reconnaît que, dès lors que ce n’est pas un procédé ou une mode, l’usage premier sur le plateau d’autres formes artistiques (vidéos, musique, danse, théâtre d’objets…) peut représenter l’aboutissement d’un parcours singulier, original, Gilles Chavassieux reste attaché au théâtre de texte : le texte, la langue.

« Quoi qu’il arrive le théâtre de texte est celui qui sait manier la langue, qui a des chances de survivre. Prenons le cas concret de l’actuel président de la République. Il a cru, avec une langue populiste, vulgaire (je ne dis pas grossière) que c’était une voie à prendre. Il commence à comprendre la nécessité de la langue. Ce qu’il a fait durant trois ans, c’était pire qu’une faute, c’était une erreur », conclut le patron des Ateliers, en paraphrasant Talleyrand.

 

TDM3de Didier-Georges Gabily

Mise en scène de Gilles Chavassieux


Avec Jean-Marc Avocat, Gilles Chabrier, Valérie Marinese, Alain-Serge Porta, Christian Taponard, Gilles Chavassieux, Lucie Donet et Claire-Marie Daveau, Emma Pluyaut-Biwer, Caroline Roussel et Louise Saillard-Treppoz

 Du 7 au 19 février, Théâtre des Ateliers, Lyon.