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dimanche, 23 novembre 2008

Flameng

Ce faucheur en chapeau rouge, assis sur un sac de jute, triste dans ses guenilles et ses sabots las, la besace en bandoulière, dirait-on pas l’incarnation du petit peuple des faucheurs fauchés ? Et ce savant à la barbe brune, au front dégarni, dans une toge à l’antique visiblement trop grande pour lui, le croirait-on pas échappé de l'Ecole d'Athènes de Raphaël ? Assis sur une lyre, cet angelot désœuvré contemplant le sol, comme dans la salle d’attente de quelque médecin… Seule danse une Fortune, les deux seins découverts, indolente, les yeux bandés, un pied en équilibre sur sa roue, en tentant d’entraîner à sa suite un homme aux chaussures délacées. Et sur la table, les travaux délaissés : A-t-on jamais osé dessiner avec autant de cruauté la cynique poésie de l’argent ? En arrière plan se devine le Pont Neuf et les tours de Notre Dame. Et sur le ciel bruineux de Paris, les majuscules alignées de la BANQUE DE FRANCE, comme sur une affiche de cinéma qui fait la part belle au grand rêve urbain, aux illusions industrielles, à la chimère du progrès économique et commercial à l'infini; à l’ailleurs empli d’opportunités, de potentiels, de chance, à l’aveugle espoir vers lequel cette putain de déesse de la Fortune cherche constamment à entraîner l’homme pauvre : devant ce mélange éhonté de misère et de luxe, il y a bien, aussi, de quoi hausser les épaules.

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La coupure initiale de 1000 francs, qu'on doit au pinceau de François Flameng en 1891, ne fut jamais émise.  Avec des couleurs modifiées, vingt quatre alphabets seulement en ont été tirés en 1918, pour une valeur faciale de 5000 francs. Ces billets ne circulèrent que de 1938 à 1945. Leur créateur, François Flameng (1856-1923), était mort depuis quinze ans. Le Flameng est à présent le fleuron de toute collection. Pour ma part, je ne l’ai eu qu’une fois entre les mains, chez un numismate qui ne lâchait pas des yeux le moindre de mes gestes. La côte du Flameng atteint des sommets vertigineux, surtout pour les quelques rares spécimens du marché en état presque neuf.

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Nous regardons à présent le verso : Ce prolétaire vêtu de rouge, au tablier déchiré, jambes ballantes qui nous scrute sans ôter le chapeau, cette Fortune assise à ses côtés, aussi opulente que désabusée, cet amour dodu et joueur qui nous montre son cul, quelle drôle de famille !  De part et d'autres, les anges raphaëliques voltigent sur des rubans comme sur des cobras dressés : Hommes et allégories ont trouvé dans le luxe et la fortune les limites de leur ferveur, une forme d'épuisement, et leur ennui règne en ces cartouches. Lequel semble encore capable de bouger ?  La beauté étrange, la supériorité indéniable de cette vignette sur toutes les autres tient entièrement au fait que la modernité qu’elle exprimait lors de son édition était prémonitoire : dans le luxe, l'énergie se décompose, dans l'abondance, le désœuvrement mortifère s'installe : comment éviter que le comble de la civilisation ne soit que le commencement irréfutable de son déclin ?

12:03 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : françois flameng, billets français | | |