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samedi, 18 mai 2013

L'art pour tous

Connaissez-vous Jussi Pylkkanen ? C’est le président de Christie’s Europe. Il s’est écrié hier, au vu des résultats de la vente de Christie's à New York (495 millions de dollars) : «Nous sommes entrés dans une nouvelle ère du marché de l’art, où les collectionneurs chevronnés et les nouveaux enchérisseurs rivalisent au plus niveau sur la scène internationale »  On dirait un qatari qui parle de footballeurs.

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52. Millions de dollars (+ les frais = 58,4) pour Number 10 de Jackson Pollock (ci-dessus),  48,9 millions de dollars pour Dustheads de Basquiat, 56, 1 millions pour Woman with Folowered Hat de Roy Lichtenstein. On est encore loin de l’enchère record de 119,2 millions de dollars pour l’une des versions du Cri de Munch en 2012. Au dessus, cependant, de Cézanne et de ses Pommes, nature morte adjugée mardi 7 mai pour 41 605 000 dollars par maison Sotheby's.

Il faut dire que Jackson Pollock, adepte de l’art primitif, des indiens d’Amérique et des figures dématérialisées, alcoolique, claqué à 44 ans dans un accident de voiture, Jean Michel Basquiat, ne à Brooklyn, métisse, pionnier du Street Art, maqué à Warhol, canné à 27 ans d’une overdose de coke, Roy Liechtenstein, septuagénaire emblématique de l’acrylique et de la térébenthine, né et mort à Manhattan, virtuose de l’auto-dérision, qui affirma un jour : « Je pense que mon travail est différent de la BD, mais je n’appellerais pas ça une transformation, je ne pense pas que ce soit important pour l’art. »  ont tout pour alimenter la légende bidon des temps ineptes et paradoxaux dont nous subissons la continuelle mise en spectacle et/ou mise en politique, les deux allant de pair dorénavant.

Dans un monde où l’argent et le marché seuls font encore autorité, il devient impossible de critiquer, voire même de ricaner, sans passer pour l’atrabilaire ou l’idiot de service : admettons donc que ces gens ont un talent unique et incontestable, tant leurs œuvres sont, in fine, significatives de la crise de la valeur qui crucifie le monde contemporain. Leurs œuvres appartiennent à la fois au temps de l’après Bien et Mal, de l’après Beau et Laid, de l’après Goût et de l’après Histoire.

La valeur de ces œuvres, en effet, ne se calcule non pas à l’aune de ce qu’elles créent de nouveau, car il n’y a là vraiment rien de nouveau, mais à celle de ce qu’elles détruisent en terme de tradition. Leur valeur symbolique est de sanctifier, dans des espaces muséaux créés à leur usage, le fait égalitaire comme constituant number one de l’esthétique démocratique, en lieu et place des critères anciens. « J’aurais pu en faire autant » (variante de « n’importe qui pourrait en faire autant », car un parmi des milliards, je suis n'importe qui) : voilà ce que doit penser le pékin moyen qui se promène avec son portable numérique devant ce type de toiles, d’expositions en galeries, même si, de toute évidence, il ne l’aurait pas fait : Reconnaître sa propre médiocrité, en tout point égale à celle de son voisin et s'en satisfaire, telle est l'expérience ontologique que l'art contemporain. - serviteur du politique - propose au citoyen du monde.

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Dustheads de Basquiat

Ces œuvres, qui se prétendent dépositaires de l’art pour tous, sont chargés de la même vulgarité, si l’on veut bien se souvenir de l’étymologie du mot, et de la même imposture que tout ce qui relève du pour tous : car ce que le nombre, le chiffre, le montant ou le record, comme on voudra l’entendre, sacralisent ici, ce n’est pas l’œuvre, mais l’individu à mon image qui l’a signée, moi devenu star, en quelque sorte, dans une illusion de valeur. Parce que je le vaux bien... La marque.

Comme sur les terrains de foot. Au fond, il n’y a plus beaucoup de différences entre les stades et les musées. Sinon que dans les seconds, on fait en sorte de paraître mieux élevé : mais il se peut que l’Art contemporain et ses dérives financières produisent à son tour ses hooligans, ses briseurs de fêtes et de rêves. Ce serait justice.

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Woman with Folowered Hat de Roy Lichtenstein

Le tiercé gagnant de Christie's