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lundi, 12 septembre 2011

Le théâtre de Redonnet

litterature,redonnet,antidata,le théâtre des chosesComme nous l'apprend l'incipit de la première nouvelle, laquelle sert de prologue à tout le recueil, ce théâtre des choses est avant tout un programme narratif : rendre aux lieux, aux climats et aux paysages leur existence littéraire, dont on sent bien que d'après l'auteur de Géographiques, trop de récits contemporains font l'économie. La neige de l'hiver polonais et l'océan du printemps rhétais forment ainsi les deux côtés, cour et jardin, du théâtre où se déroulent, de plaines en forêts, les dix nouvelles, sans qu'on sache parfois, comme dans ce passage de Resurgences, où vraiment l'on se trouve :

"L'illusion était d'ailleurs parfaite, avec un ciel turquoise que j'apercevais par les trouées entre les cimes des pins, les petits crépitements de l'écorce sous l'effet de la chaleur, les gros amas d'aiguilles des fourmillières, le bruissement nerveux d'un peuple invisible d'insectes et, à une dizaine de mètres seulement, l'eau bleue des méandres du Bug (...) Oui, on eût pu s'imaginer, dans cette attitude, être sur une plate-bande maritime, n'eût été ce silence continental, sans jamais le moindre roulement de vagues."

Mais si  le narrateur revendique explicitement sa dette auprès de Maupassant, et à une forme de nouvelles trop souvent dites réalistes, l'économie poétique du recueil feint seulement de songer à y revenir : Ah sans doute était-ce le bon temps, ce temps des rivières à l'eau claire, où raconter une petite histoire, une historiette, quelque chose en effet comme une nouvelle ou une chanson, c'était interesser un peu la grande histoire, celle avec un terrible H majuscule ! Tous les lecteurs n'acceptaient-ils pas d'être encore complices de cette belle illusion, laquelle nourrissait encore son écrivain ?  Ni la Grande Guerre ni la Shoah n'étaient passés par là, et l'on pouvait encore, comme on met la sardine en boite, mettre en récit le loup ou l'assassin.

Car l'auteur se livre dans son recueil à un drôle de jeu ; on se souvient de la question posée par Adorno : comment écrire un poème après Auschwitz ? Au moment de clore son recueil, Redonnet a l'air soudain de la reprendre à son compte : comment écrire une nouvelle après Lomazy et, pour aller jusqu'au bout de la logique sous-tendue par la chronologie du recueil : comment se plier sans malice à la tradition littéraire du dix-neuvième après le désastre du vingtième ? Devant le raffut des temps présents et l'inénarrable dont ils procèdent eux aussi, mener l'enquête, fignoler la fiction, soigner le style, bref, faire du Maupassant, tout ça n'est-il pas non plus, par delà le fameux mensonge romanesque, qu'une sale idée ? Ainsi, lorsque le narrateur du recueil feint de se plaindre non plus du vertige de la page blanche, mais de celui de l'écran vide, est-on tenté de relire à l'aune de cet étrange dénouement tout ce qui précède d'un autre oeil : dans ce qui pouvait apparaître comme des exercices de style ou de brillants pastiches, on retrouve alors un cheminement qui pas à pas dit le mal dont souffre l'auteur, celui de ne pouvoir écrire en effet comme Maupassant, non qu'il n'en ait le talent, mais qu'il vit tout simplement un autre temps, en un autre théâtre des choses. C'est bien là, me semble-t-il, ce qui justifie l'existence de ce petit livre à l'arôme de cognac Fine Champagne dans cette rentrée littéraire : être en fin de compte, et quoi qu'on en pense, terriblement de son temps.

B. Redonnet : Le théâtre des Choses, 10 nouvelles de France et de Pologne,  chez Antidata, 9 euros. 

 

 

 

07:18 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature, redonnet, antidata, le théâtre des choses | | |