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jeudi, 05 novembre 2015

Le mourir ensemble des mauvais joueurs d'échecs

Homme, femme, noir, jaune, arabe, riche, pauvre, juif, non juif, hétérosexuel, homosexuel, de gauche, de droite, de souche ou immigré, il n’y a véritablement aucune gloire à être ce que l’on est. La revendication de je ne sais quelle dignité au nom d’une appartenance à une majorité agissante et plus encore à une minorité prétendument opprimée est ainsi un leurre abject, un piège grossier pour des consciences puériles et  abusées. Tous sont humains pour leur plus grand malheur, car au spectacle du show produit par l’espèce sur la terre, être humain, ce n’est guère reluisant.

En ce sens, le mouvement initié par la Gay Pride, la fierté d’être soi, est une pure aberration, une idiotie qui dépasse le plus simple entendement, mais semble se généraliser à tous les genres et sous-genres de cette humanité errante. Pour être socialement acceptable, il convient dans la France contemporaine et l’Occident déconfit de vivre donc dans l’estime de soi, la fierté de son petit développement personnel acquis à la force du poignet, le contentement de ses travers mesquins, la satisfaction bornée de son égoïsme viscéral, de ses chimères persistantes et maladives, de ses vices chroniques. Dans un tel contexte, celui qui se reconnaît simplement et véritablement pécheur se retrouve d'emblée considéré comme un fou, un scandale vivant monté sur deux pattes, un traitre à la cause commune, un qui n’a rien compris à la modernité et au progrès de la pensée. Se reconnaître  pécheur devant Dieu contrevient à la doxa officielle selon laquelle être né homme suffirait à nous affranchir de tous les efforts moraux et à nous conférer tous les droits civiques : nous serions bons, beaux, exquis même, par essence.  Civilisés par nature.

C’est un monde qui fait naufrage, une société tout entière qui perd pied. Chacun, quels que soient son âge, sa condition, son sexe, s’y retrouve livré seul à son souhait du moment, avec l’assistance technique dont on lui explique qu’il aurait prétendument besoin pour le satisfaire, en toutes circonstances. Hier, dans le métro, j’ai observé un trentenaire qui jouait aux échecs sur son portable. Comme cela, debout, calé parmi deux de ses semblables sur un plancher instable entre deux stations, sans adversaire réel en face de lui, sinon le logiciel dans lequel toute son attention était en réalité maintenue enserrée : Quel plaisir, quel partage intellectuel, vraiment, me suis-je demandé, en de telles conditions ? Étrange comme les échecs, ce jeu qui, si intrinsèquement, suppose la rencontre et la confrontation avec un adversaire, l’élaboration d’une stratégie à l’intérieur d’un dialogue entre deux intelligences, est devenu une sorte d’activité de cruciverbiste améliorée, une manière de développer encore en solo cette fameuse fierté d’être soi, face à la machine qui ne sera jamais fière de rien. Car ce type ne faisait plus que se branler l’esprit, exercer ce malin qui tourne tout seul, constamment à l’affût de la moindre activité, dans la détestation souveraine de l’ennui salutaire où cet homme aurait pu trouver quelques instants matière à méditer. Ne pas perdre une minute de ce fameux développement de soi, censé nous conduire vers l’estime de soi, et qui ne débouche que sur un dérèglement de l’être et une inversion des valeurs.

Tout demeure ainsi conçu pour tirer l’être vers de simples activités  mécaniques et dans le cul de sac des revendications limitées, c'est-à-dire vers le bas. Et si nous n’y prenons garde, nous devenons quotidiennement les uns pour les autres les agents de cette dégringolade, de ce dépérissement de l’âme. Les principaux responsables de cet état de fait, c'est-à-dire les décideurs, ont beau jeu ensuite d’endosser leurs costumes piteux de curés laïcs en parlant de leur foutu vivre ensemble.  Se côtoyer en suivant les mêmes codes et, victimes soumises des mêmes bourreaux, en se laissant assister – voire maîtriser - par les mêmes programmes, ce n’est pas vivre ensemble. C’est au mieux mourir ensemble, mais ce n’est pas ainsi, que je sache, qu’on bâtit une cité.

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07:45 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : kasparov, france, société, communication, développement personnel, echecs | | |

Commentaires

C'est si bien observé et si bien écrit !

Écrit par : Arno Dill | vendredi, 06 novembre 2015

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