vendredi, 13 février 2015
Janis défaite Rose
Me demande ce que sont devenus Michaël et Laura, son frère et sa sœur au terme du long périple. Sans doute des ayant-droits sourcilleux, rédacteurs sévères de biographies, septuagénaires contrôlant les adaptations. Pour ma pomme, Pearl, avant d’être une voix, c’était d’abord une énigme, autant dans sa surface que dans sa profondeur. Une énigme en équilibre entre la sincérité et la marchandise, la révolte et l’institution, l’excentricité et l’industrie, le psychédélisme forcené de certaines couleurs et la désuétude d’un boa. Une énigme absolument inaccessible que, du fond de ma banlieue d’alors, je contemplais dubitatif sur la pochette en carton, tout en laissant tourner le fil du microsillon, perplexe et fasciné par le décousu de ces paroles déhanchées sur des rythmes endiablés :
“I ain't quite a ready for walking, no no no no,
I ain't quite a ready for walking,
And whatcha gonna do with your life,
Life all just dangling ?” (1)
Bref, Janis Joplin était, pour tout dire, très loin de moi et de mes préoccupations mais je me racontais bêtement qu’il fallait que je me rapproche d’elle et du monde qu’elle représentait bien plus essentiellement qu’une caricature de Charlie représente le Prophète… ah ! pour le coup je croyais à la radicalité du signe, et je n'étais pas le seul, religieusement imbécile ! Car tout me laissait croire que son monde devait devenir mon monde. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, on est surtout très anxieux de ne pas rater le coche – on ne sait lequel mais on pressent que le rater serait une catastrophe. Aussi la singularité totalement fabriquée de Janis (fabrication qui eut raison d’elle malgré tout son talent) m’en imposait. Elle fut durant quelques mois l’une de mes goules, poche de plaisir autant que d’illusion.
Plus tard, il y eut The Rose. Le film devait s’appeler The Pearl, mais Bette Midler, pressentant sans doute l’odeur des Oscars, exigea qu’on enlevât toutes les références à Janis Joplin, de peur de paraître jouer la copie.
A l’époque, on ne pouvait pas entrer dans un bar sans entendre le sirupeux couplet se débobiner dans l'air comme du mauvais, très mauvais Piaf :
Some say love, it is a river
That drowns the tender reed.
Some say love, it is a razor
That leaves your soul to bleed. ( 2 )
Et ce n'était pas même une contrefaçon, non, ce passage du microsillon au blockbuster. On avait changé d’époque et ma jeunesse était finie. Le rêve de Janis Joplin était définitivement parti en fumée.
(1 ) Je ne suis pas tout à fait prête pour marcher, non, non, non, non
Je ne suis pas tout à fait prête pour marcher
Et que vais-je faire de ta vie,
Ta vie, juste en train de se balancer ?
(2) Certains disent que l'amour est une rivière / Qui submerge le fragile roseau. Certains disent que l'amour est une lame / Qui fait saigner votre âme…
00:29 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française, Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pearl, janis joplin, move over, bette midler, the rose |
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