lundi, 03 août 2015
Riga et Mirna Loy
Il en va des expositions comme du reste : quand une exposition au Grand Palais, quelle qu’elle soit, génère une queue interminable de visiteurs, une exposition au musée national des arts de Lettonie à Riga demeure presque confidentielle. Je veux dire qu’on peut s’y promener de pièce en pièce et d’œuvre en œuvre, prendre le temps d’immobiliser son regard où bon nous semble sans craindre les commentaires ou les bousculades. Les plus fameux portraits d’Edward Steichen s’y offrent à l’appréciation du badaud féru de noir et blanc jusqu’au 6 septembre.
De passage à Riga, je me suis donc trouvé sans l’avoir vraiment prévu nez à nez avec Greta Garbo ou Charlie Chaplin, Churchill ou Roosevelt, et bien d’autres icones du siècle écoulé, de ce qu’il eut de léger et de fanatique, de suave et d’hypocrite, d’implacable et de tourmenté.
Je ne connaissais pas ce visage. Mirna Loy (Loja en letton) n’est pas la Divine, même si elle fut l’actrice préférée de Franklin Roosevelt, et The Great Ziegfeld, tourné en 1936 n’a pas laissé je crois un souvenir impérissable dans la mémoire des cinéphiles. Pourtant. Pourtant ce visage…
Edward Steichen. Myrna Loy in The Great Ziegfeld.. 1936. Gelatin silver print. Collection of the Luxembourg National Museum of History and Art © Cliquez sur la photo pour l'agrandir
Une langueur heureuse et fluide s’écoule de ce regard, une sorte de triste contentement ou de tristesse humide autant que lumineuse, je ne saurais dire, et c’est en ce sentiment que l’œil du badaud d’abord se noie au hasard de l'exposition. Le regard de Myrna Loy embrasse sans étreindre, avec ce qu’il faut d’empathie et de mise à distance, dans un dosage de l’esprit quasiment parfait. Du coup, la courbe épilée du sourcil et l’arrondi sensuel des lèvres n’ont rien de vulgaire pour ne pas dire d’hollywoodien, au contraire. Ils encadrent ce regard et l’anoblissent, comme la lumière qui se répand sur cette peau en noir et blanc. Le front sans rides est néanmoins soucieux, ce qui contrarie avec élégance la suavité qu’aurait ce visage, si l’on n’y sentait une intelligence qui résiste, précisément, à l’abandon. Le voile de gaze ou de mousseline qui fait usage à la fois de fichu et d’écharpe vêt cette silhouette d’un relent à la fois cinématographique et religieux, et le photographe peut à sa guise laisser s’y répandre dans les plis d’une même lueur la beauté du naturel et celle du surfait. Ce sont ces doigts, surtout, ces deux doigts de l’actrice, dirigés vers le menton, qui font l’image. Il y a dans cette attitude comme l’aveu d’un songe secret. Médite-t-elle ? Que regrette-t-elle, que désire-t-elle ? De ce corps dont on n’entrevoit même pas le cou, ils sont la seule métonymie, en quelque sorte, et témoignent d’un art certain du caché, dorénavant oublié. La grâce de l'impudeur, incarnée par ces deux doigts de Mirna Loy, ici aussi indécente que virginale. Elle semble sur cet imposant club Art-déco se balancer comme en un rocking-chair, tout absorbée par lui qui occupe la moitié inférieure de l’image, et parfaitement évadée de lui, tant aux lignes horizontales qui le composent s’opposent les arabesques du foulard et la grâce de son visage. Ainsi le modèle, bien qu'assurément seule sur cette photographie, semble ne point l’être du tout, ne l'avoir jamais été. Et c’est bien cela qui confère au portrait plus qu’une beauté, une indéniable magie, qu’on peut aisément ne pas se lasser de contempler.
Du 26 juin au 6 septembre, à l'Arsenals, salle d'exposition du musée des Arts de Lettonie, Riga
22:23 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : riga, mirna loy, edward steichen, the great siegfried, photographie |